Le portail suivant était très paisible—sans mouvement d’aucune sorte. Il semblait lourd et solide, et son ornement central était une montagne avec une minuscule construction à son sommet. Les piliers étaient sculptés en têtes de chèvres et à leurs bases une bordure en queues de poissons.
Rex était incertain quant à la façon d’entrer, comme il ne voyait ni heurtoir, ni clochette, ni même une baguette pour frapper.
Zendah dit soudain, "Il y a une très, très petite serrure, tout en haut du portail, Rex, mais je ne pense pas que nous puissions l’atteindre, et puis même si nous le faisions, nous n’avons pas de clef. Pourtant, tu pourrais grimper sur mes épaules et voir si tu peux atteindre la serrure".
Rex s’exécuta, mais il n’arrivait pas à l’atteindre. Il descendit à nouveau et les enfants se regardèrent avec consternation.
"Ceci est ennuyeux", dit Rex, jetant un coup d’œil à la porte. "Regarde ces lettres, Zendah, je ne les ai pas vues avant".
Ils furent surpris de voir en plein milieu de la porte les mots, "Si une première fois, vous ne réussissez pas, essayez, essayez encore".
Soudain, Zendah remarqua une énorme pierre près du portail. Une traînée de lumière venait d’en dessous, et Zendah dit, "Essayons de bouger cette pierre et alors peut-être nous pourrons trouver le passage". Ils poussèrent ensemble pendant quelques minutes et lorsque la pierre bougea, ils trouvèrent dessous une boîte en pierre blanche.
A l’intérieur il y avait une minuscule clef faite d’un métal terne semblant lourd, et il l’était réellement car ensemble ils purent difficilement la soulever. Après l’avoir tirée pendant quelques minutes, ils s’arrêtèrent pour reprendre leur respiration. Alors Zendah prit la clef à deux mains et en même temps Rex cria, "Zendah, Zendah, tu grandis de plus en plus" ! Il la regarda croître comme une tige de haricot et mettre la clef dans la serrure.
Aussitôt fait, elle retrouva rapidement sa taille normale.
Alors ils entendirent une voix.
"Qui a trouvé le secret de l’entrée du Pays de la Chèvre d’Eau" ?
Ils répondirent, "Rex et Zendah".
"Le Mot de Passe" ?
"Persévérance", répondirent ils.
"Entrez Rex et Zendah par persévérance".
Très, très lentement cette porte s’ouvrit et un vent froid les fit frissonner, alors qu’ils se tenaient sur le seuil.
Quelle vue s’offrit à leurs yeux ! Des chaînes de montagnes, certaines vêtues de neige, et d’autres toutes de roche grise. Le soleil se levait juste et ils virent les montagnes passer du gris à des ombres bleues et pourpres, et comme il se levait plus haut dans le ciel, elles devenaient graduellement roses et oranges, tout comme leur propre vallée l’était en hiver.
"Je pense qu’il fait assez froid ici, dit Zendah, tapant des pieds, "mais j’aime gravir les montagnes".
Ils se retournèrent en entendant des pas, et découvrirent qu’une femme d’un certain âge, à la chevelure grise, venait à leur rencontre.
Elle tenait un bâton dans sa main et portait une robe courte d’un tissu verdâtre, ceinturée d’un lien de cuir brun foncé.
"Vous ne trouverez pas ce pays facilement", dit elle, se courbant gravement vers les enfants, "mais je vous donnerai le pouvoir des pieds de chèvre et vous serez capables de grimper".
Disant cela, elle toucha leurs pieds de sa baguette et à leur plus grande surprise, ils se rendirent compte de la différence, car ensuite ils purent gravir les flancs de la montagne aisément.
"Que serait il arrivé si vous n’aviez pas touché nos pieds avec votre baguette" ? demanda Zendah.
"Vous n’auriez pas pu fléchir vos genoux et vous seriez tombés si souvent que vous n’auriez jamais atteint le sommet de la montagne" dit elle.
De plus en plus haut, ils grimpèrent, trouvant sur leur chemin des branches de hêtre ; ici et là des hommes en coupaient quelques unes, prête à être envoyées aux ateliers plus bas dans la montagne.
Près du sommet ils entrèrent dans un beau jardin arrangé par des rangées de peupliers et des ifs dont Rex pensait qu’ils se tenaient comme des soldats en manœuvre. Dans le centre se trouvait un palace noir qui brillait comme du marbre poli, mais on leur expliqua qu’il était en jais.
Dans le Palais de Jais ils trouvèrent le Roi Saturne, qui souriait lorsqu’ils entrèrent dans son grand hall, et qui leur dit que c’était sa maison et qu’on pouvait souvent l’y trouver.
"J’ai peur que vous ne trouviez pas le Pays de la Chèvre d’Eau si intéressant jusqu’à ce que vous ayez grandi", dit il, et se retournant vers un jeune homme qui était assis à son côté et dont la chevelure était comme celle de Rex, il ajouta, "Vous vous ferez expliquer tous vos étonnements pare mon fils Mars, qui est jeune et sera ravi d’avoir une excuse pour faire quelque chose, au lieu de rester à côté de moi toute la journée" !
Mars bondit avec un sourire, et ils partirent, remarquant dans plusieurs pièces où ils passaient, des hommes et des femmes parlant, parlant et parlant, au point que vous penseriez qu’ils devaient être bien fatigués de tant de bavardage.
Dans une autre pièce ils virent des gens entourés de livres et de rouleaux de papier avec des centaines de sceaux rouges et verts suspendus; il y avait des livres sur les étagères, des livres sur les tables, des livres en tas sur les planchers ; vous auriez pu difficilement voir les gens à cause des livres !
"Certaines de ces personnes apprennent tout des lois, ainsi elles sont capables de montrer à leurs rois comment gouverner leurs pays", expliqua Mars, "et les autres les mettent par écrit pour que beaucoup de gens les lisent, s’ils le veulent, dans les musées ou les bibliothèques".
Les enfants pensaient que cela était un peu triste, aussi Mars les emmena hors du Palace où ils virent des centaines de chèvres, des chèvres grises, des chèvres blanches, et des chèvres pies, courant en haut et en bas de la montagne, ne glissant ni ne tombant jamais lorsqu’elles sautaient de rocher en rocher.
"N’y a t il pas d’autres animaux ici" ? demanda Zendah.
Mars leur montra des plans d’eau profonds au pied d’une des montagnes, et là ils virent des centaines de crocodiles.
"Je n’aime pas du tout ceux ci, ni leur odeur", cria Zendah. Mars rit. "Ferme tes yeux", commanda t il, et il prononça le mot magique. "Maintenant, ouvre-les".
Lorsqu’elle le fit tous les crocodiles s’étaient transformés en chèvres et sortaient de la mare aussi vite qu’ils pouvaient.
Ensuite ils allèrent vers une crevasse dans la montagne, et rampant à l’intérieur, ils montèrent dans une sorte d’élévateur—en tous cas cela y ressemblait car c’était une petite pièce avec des sièges sur le côté. Et après qu’ils se furent assis, l’endroit devint soudain sombre et –sshh—boum—le souffle leur manqua quasiment et alors ils virent un faible lumière.
"Soyez très, très silencieux, si vous voulez voir les gnomes au travail", chuchota Mars, comme ils sortaient de l’ascenseur et s’avançaient dans un étroit passage. Bientôt ils se trouvèrent à un bout du rocher, regardant la cave en bas.
Il y avait des centaines de petits hommes bruns s’affairant, certains surveillant de grands feux, sur lesquels bouillaient des chaudrons de métal. D’autres faisaient rouler des réservoirs, desquels ils versaient le métal chaud dans les crevasses des rochers.
"Que font ils" ? murmura Rex.
"Ils versent le plomb dans les veines des roches, ainsi il courra vers la Terre, et les hommes seront capables de découvrir des mines de plomb s’ils creusent assez profond. Les métaux de tous les pays ont d’abord été déposés par les gnomes avant que vous puissiez les trouver. Maintenant venez et voyez ce que nous faisons avec les arbres que vous avez vus couper sur les pentes de la montagne".
Ils passèrent par un grand immeuble dans lequel de grandes scies circulaires coupaient les troncs en plaques lisses. Certaines étaient polies jusqu’à devenir comme des miroirs et les enfants purent y voir leurs visages. Partout, toutes sortes de choses étaient en construction, tables de bois, jouets, bateaux et boîtes. Dans un coin, un homme transportait de minuscules carrés et triangles multicolores pour former un modèle de tapis.
"Que de temps cela lui prend" ! soupira Zendah, songeant combien elle détestait rester assise calmement à la maison.
"Il fait cela depuis quatre vingt quatre ans", répliqua Mars. "Vous voyez que l’on a besoin de beaucoup de patience pour le faire, et c’est une des choses que les gens viennent apprendre ici".
Les enfants commençaient à se sentir fatigués de leur escalade, car le pouvoir de la baguette magique s’estompait, aussi Mars les emmena vers une montagne très escarpée dont le sommet semblait atteindre tout droit les nuages. A la fin, ils se retrouvèrent à la porte d’un immeuble en cristal, à cinq côtés, comme une étoile. Sur la porte, il y avait ces mots :
Dans le hall d’entrée se tenait un vieil homme près d’une fenêtre qui s’étendait du plancher jusqu’au plafond. Cette fenêtre était ouverte par le haut et un grand télescope pointait vers les cieux étincelants. Il était entouré de tables encombrées de livres et de papiers où étaient inscrits des cercles et de singulières figures. Comme Mars avait amené les enfants à lui, il vérifia les calculs qu’il avait faits.
"Jours de naissance, s’il vous plaît", fut tout ce qu’il dit.
"Le 27 Mars, le 26 Novembre", répliquèrent ensemble Rex et Zendah.
Il rit. "Un seul à la fois, s’il vous plaît". Il nota alors leurs noms dans un grand livre à son côté. Se demandant pourquoi il voulait leurs dates de naissance, ils restaient le regarder mais le vieil homme retourna à ses écritures et ils virent Mars qui les attendait à la porte.
Quittant cette antichambre, ils arrivèrent à l’entrée du hall principal, et il leur fut conseillé de le suivre lentement et calmement. Au centre pendait une lampe, suspendue par une chaîne d’or qui brillait en oscillant légèrement d’avant en arrière, sous la brise venant de la porte.
En dessous se tenait une table, dont les pieds étaient sculptés en serpents, et dessus étaient posés un coussin pourpre, un grand livre relié de velours blanc. Il y avait sept cadenas avec chaînettes et sur sa couverture ces mots écrits en lettres d’or :
"Voici le livre dans lequel toute la connaissance du monde est écrite dans toutes les langues", dit Mars. "Il est fermé par sept cadenas, et la petite clef que vous avez trouvée à la porte déverrouille l’un deux. Mais jusqu’à ce que vous ayez visité tous les Pays du Zodiaque, vous ne serez pas capables de lire aucune de ces pages".
La lampe est comme celle d’Aladin, et est apte à vous donner tout ce que vous souhaitez ; avant de vous quitter, Père Temps vous en donnera une petite copie, et vous direz comment l’utiliser.
Mars les conduisit en bas de la montagne, au Palais de Jais, et le Père Temps sourit lorsqu’il les vit. Lisant dans leurs pensées il dit, "Ainsi vous désirez être capables de lire le Livre de la Sagesse, mes enfants ? Vous le ferez, un jour. Maintenant, je te donne, Zendah, une copie de la lampe ; tu dois découvrir où la frotter, et combien de fois, et quand tu dois l’utiliser à la fois avec le Mot de Passe. Toi, Rex, puisses-tu porter cette étoile à cinq branches faites en Jade, pour te souvenir de ce Pays".
Mars les emmena du Palace vers le Portail et ils agitèrent les mains vers lui, puis descendirent ensemble le flanc de la montagne, arrivant à l’entrée beaucoup plus vite qu’ils ne s’y attendaient. Mais aussi, il est plus facile de descendre que de monter.
Ils n’étaient pas certains de ce qu’ils pensaient réellement du Pays de la Chèvre d’Eau, car comme Zendah le dit, les choses étaient si énigmatiques ici, et aussi, il faisait si froid" !