MEDITATION
ENTRAINEMENT DE LA VOLONTE
L'entraînement de la volonté s'étiole encore pour la plus grande partie de l'humanité. L'entraînement de l'esprit est superficiel. L'entraînement des sentiments est chaotique. L'entraînement de la volonté est plutôt primitif. Chaque livre dans lequel on espère trouver quelque chose sur ce sujet le prouve.
Et jusqu'à présent le nombre croissant de cas de maladies—faiblesse de la volonté, de désir de résolution, faible hésitation—indiquent que quelque chose doit être fait.
Nous devons rejeter totalement toutes méthodes qui approchent ce mal d'une manière trop extérieure. On peut travailler sur la volonté par l'ascétisme, par des exercices de respiration, et aussi en prenant certains remèdes.
Ceux-ci peuvent un support pour les fondations organiques de la vie de notre volonté. Mais c'est en accord avec l'esprit de notre époque que la volonté devrait être construite à partir du centre du corps humain, à partir de l'égo. Alors seulement elle est pleinement saine et forte de façon durable. C'est sûrement une aide tendant vers ceci si on renonce librement à certains plaisirs. Mais ce doit être une libre renonciation, qui a quelque chose de royal en elle, qui peut agir à tout moment, mais ne veut pas, en dehors de la nature de l'esprit. La violence et les règles de l'extérieur occasionnent facilement un barrage à la volonté qui n'est pas suffisamment saine et qui menace de chuter. Il en était autrement dans les temps anciens lorsque l'égo humain était encore peu développé. Aujourd'hui seul le sage renoncement est ce que l'égo renouvelle à chaque moment à partir de son propre discernement. Un tel renoncement est grandement régénérateur pour la vie de la volonté.
Nous devons également rejeter un entraînement de la volonté tel qu'il nous est offert dans les exercices jésuites et assimilés. Il n'est pas nié qu'ils éduquent et renforcent la volonté à un haut degré. Ils brisent l'entêtement. Mais ils brisent aussi le libre arbitre de l'homme. Ceci est assez compréhensible à cause de l'époque à laquelle ils furent donnés, et à cause de l'objectif qu'ils étaient sensés servir. Mais ils n'ont aucun égard pour la croissance de l'égo et ses possibilités et tâches individuelles. Ils n'ont aucune considération pour la liberté de maturation dans l'humanité. Ils ne voient pas la noblesse qui œuvre à partir d'un égo. Donc ils développent, en effet, le pouvoir de la volonté à un degré formellement élevé, mais au prix de n'avoir pas d'égo libre d'utiliser cette volonté. Ils mettent l'homme dans un uniforme. Dans cet uniforme il peut sentir son soi être fort, et se croire lui-même quelque chose de plus qu'il n'est en réalité. Mais rien n'est plus apte à éloigner l'humanité de son but qu'un uniforme spirituel, du moins à notre époque.
Dans les exercices des Jésuites, les expériences occultes de l'humanité sont encore à l'œuvre avec un pouvoir d'un millier d'années, mais ils oeuvrent à une époque qui requiert quelque chose de différent. Ils maintiennent le Moyen Age parmi nous, même à travers leur pacte avec le modernisme ils fascinent beaucoup de gens. En plus de tout ce qui pourrait être dit à leur propos—qu'ils proclament Jésus le roi de la terre au lieu du Christ en tant que Seigneur du plus grand égo, qu'ils écrasent les hommes par un système entier de dogmes du passé, qu'ils plantent beaucoup d'égoïsme et de matérialisme—cette détérioration du libre égo, en dehors duquel seule la volonté peut être projetée, est décisive pour nous.
Si aujourd'hui nous apportons aux hommes de nouveaux exercices pour la volonté, un plus grand soin doit être pris pour la valeur individuelle de chaque égo. Autrement il s'élève un agrégat puissant de volonté qui peut être guidé par un pouvoir ou un autre, mais non la plénitude de la Divinité qui se révèle elle-même dans les personnalités dont les égos sont libres. Les dangers qui se trouvent sur ce sentier doivent être maîtrisés.
La troisième méthode, à propos de laquelle nous ne parlerons pas particulièrement ici, est le sport. On peut en effet faire de plus grandes distinctions entre sport et sports, que ne le pense le laïque, qui voit toutes sortes de sports représentés dans les Jeux Olympiques actuellement. Et d'aucuns sans préjugé ne peuvent nier qu'il y a des exercices en sport qui donnent un entraînement bénéfique à l'auto restriction et l'auto estime, qui extraient de la volonté le pouvoir, la vitesse, l'activité, l'endurance. Que tout ceci ne mène pas plus loin qu'une certaine augmentation limitée de la santé physique, et du self contrôle général, peut être clairement vu de la manière dont ceux qui sont grands dans le sport pour la plupart, perdent leur intérêt dans leurs activités quotidiennes, sans faire quoi que ce soit d'important durant ce temps. En même temps nous sommes aujourd'hui enclins à sous-estimer les aspects moins favorables de la pratique du sport, l'ambition, le sensationnalisme, la recherche du record, l'extérieur, le manque de spiritualité. Le meilleur que le sport, tel que pratiqué aujourd'hui, donne à l'âme, est l'entraînement général de l'humanité dans un comportement correct envers les adversaires, dans l'auto restriction dans l'application des règles établies, dans le respect des autres dans la bataille de la vie.
Relativement à la pratique du sport telle qu'elle vient de l'occident, il serait nécessaire pour…[une personne] pas simplement de le caricaturer, mais de réfléchir au problème pour elle-même et de placer le sport à sa juste place dans le développement humain. Alors serait on capable de discuter dans une autre atmosphère sur la manière dont la réalisation d'un but physique donne de la vigueur à la volonté humaine, parce qu'elle voit de ses propres yeux ce qui a été accompli; comment la tension physique et le renforcement établissent d'autres fondations pour la vie de la volonté.
Ce que nous nous efforçons ici de suivre est un entraînement de la volonté de l'intérieur. Ce qui suit est recommandé comme simple exercice :
Entreprenons de faire quelque chose de spécial demain, quelque chose n'ayant pas de relation avec les événements du jour, mais désiré d'une volonté entièrement libre; par exemple, demain matin, à sept heures, je prendrai un livre sur mon bureau encombré et le rangerai dans la bibliothèque. Cela peut aussi être quelque chose d'apparemment fou; par exemple, ce soir, à sept heures, j'étendrai mon bras par la fenêtre.
Une telle action vide de sens peut avoir cet avantage : qu'aucune force de l'extérieur, ni même par la raison, ne sera exercée sur cette action, mais procédera totalement de la libre volonté. On remarquera comment à travers de tels exercices faciles, lorsque l'on réussit à les laisser venir de l'inconscient à la bonne heure, on en vient à expérimenter la force royale de la volonté. Et des présages de la lointaine future humanité peuvent se jouer autour d'une aussi petite expérience.
La mauvaise habitude d'être incapable de trouver des choses que l'on a mises de côté, ne peut être combattue en les mettant régulièrement à la même place, mais en renversant exactement les moyens, c'est à dire, en les mettant consciencieusement toujours à des endroits différents, et en essayant de se souvenir où elles ont été placées. Il n'y a pas de doute que dans une psychiatrie du futur de telles simples méthodes révéleront une action de loin plus efficace pour le bien qu'on ne peut le croire aujourd'hui.
Ici nous nous efforçons à quelque chose d'autre. Et il est bon que nous placions en premier devant nos âmes les différentes sortes de volonté.
Il y a une forte volonté qui peut presser à travers la force contre la résistance, mais est facilement endommagée, et il y a une longue volonté—l'expression est de Nietzsche—qui poursuit son objectif par delà les longs espaces du temps et grandit plus forte à travers des circonstances adverses.
Il y a une volonté flexible qui s'adapte elle-même de façon élastique à des circonstances variées, et il y a une volonté rigide qui n'a pas la capacité de changer ses méthodes. Il y a une volonté consciente qui vit dans la claire lumière de la connaissance, et il y a une volonté inconsciente dont nous-mêmes ne connaissons rien, bien qu'elle gouverne nos actions.
Il y a la volonté de coutume qui travaille des complexes enseignés ou hérités de l'âme, et il y a la volonté d'opposition, qui veut toujours quelque chose d'autre que ce qui est habituel.
Il y a la volonté publique qui est présente dans l'individu avec une grande force lorsqu'elle est partagée avec d'autres, et il y a la volonté solitaire qui perd le plaisir en elle-même lorsqu'une autre s'accorde avec elle.
Il y a la volonté directe qui fait des efforts vers son but par la voie la plus droite, et il y a une volonté tortueuse qui essaie d'atteindre sa résolution par des chemins de traverse.
Il y a la volonté du monde extérieur qui ne pense jamais qu'il puisse y avoir quelque chose à gagner par la conquête intérieure, et il y a le volonté du monde intérieur qui préfère laisser toutes les choses extérieures telles qu'elles sont, pour qu'elle puisse faire des efforts vers son but intime.
On peut en dire beaucoup sur ces choses. Nos yeux doivent d'abord être ouverts à tout ce qui existe dans cette sphère. Alors nous pouvons mieux nous voir nous-mêmes. Le danger de la volonté est qu'elle devrait devenir non spirituelle, qu'elle devrait continuer à œuvrer dans notre propre force, même lorsque les opinions dont elle est issue ont besoin d'être changées.
La volonté est également toujours non spirituelle quand elle n'est pas supportée par un profond discernement. Spécialement non spirituelles sont les deux erreurs dans lesquelles nous trouvons le plus souvent la volonté; qu'elle soit matérialiste ou égoïste, ou les deux. Dans le premier cas elle met trop l'accent sur ce qui est terrestre dans l'univers, dans le second cas, elle donne trop d'importance à l'égo individuel.
Ici encore sont les erreurs Ahrimaniennes et Lucifériennes que nous avons trouvées partout !
L'idéal est une volonté forte et endurante qui à chaque moment est au service de l'homme, et qui, bien que flexible à chaque condition, demeure constamment maintenue vers le but le plus élevé.
Nous l'acquérrons quand nous prenons en considération les pouvoirs supra-humains de l'adversaire, lorsque, au-delà de ceux-ci, nous prenons le but du Christ dans nos volontés, lorsque nous regardons l'exemple du Christ. Et ainsi nous accomplissons grandement la loi universelle, que la volonté grandisse par des buts élevés, par des grands exemples, par une grande opposition.
Le plus puissant pouvoir de l'adversaire est appelé parmi les hommes "mal". Mais on voit "péché" dans la Chrétienté aujourd'hui presque exclusivement d'un point de vue de pardon. Quelle que puisse être la vérité dont il est parlé à son sujet, il y a cependant une conception du mal dans laquelle sont révélées les hauteurs et profondeurs ultimes du Christianisme. Par elle on reconnaît le mal comme un pouvoir qui existe pour que le bien puisse venir. Où il n'y a pas de mal, il n'y a dans le sens le plus strict, pas de bien. Le mal doit croître vers sa plus totale grandeur et terreur, pour que le bien puisse à travers elles s'élever lui-même vers un total pouvoir et une totale magnificence.
Si l'on peut intérieurement et délibérément opposer au mal le pouvoir du bien, alors il est possible de transformer le mal. Et alors la force d'opposition est transformée en une force beaucoup plus grande de bonté divine.
Celui qui a reconnu le mal dans son opposition au divin a connu Dieu plus profondément. Celui qui a expérimenté le mal dans son plus grand éloignement de Dieu, connaît mieux ce qu'est l'amour. En lui, celui qui a porté à l'intérieur de lui-même la force d'opposition rebelle du mal, des pouvoirs inespérés de faire le bien peuvent être libérés. Ainsi le mal dans le sens le plus strict agit dans le développement de l'esprit de l'homme, de ses sentiments et de sa volonté.
L'apôtre Paul fut souvent sur la voie de telles pensées. Il a renvoyé des questions qui s'élevaient d'elles en ces mots, "Dirons nous alors (puisque nous sommes scandaleusement rapportés, et puisque certains affirment que nous disons), faisons le mal que puisse venir le bien ? Ceux-là méritent bien leur condamnation". (Rom. 3:8). Sa décision finale est "Ne te laisse pas vaincre par le mal, vainc le par le bien" (Rom. 12:21). Paul pouvait venir à de telles pensées seulement à travers ce qu'il voyait en Christ : la supériorité du bien sur le mal, la révélation toujours plus puissante du bien par le mal, la conquête du mal par le bien; par exemple, dans l'âme de Judas, et dans l'âme de Paul lui-même.
Ce furent les Manichéens, qui en relation avec tout ce qui fut dépeint dans la religion Perse comme le combat de la lumière contre les ténèbres, formèrent cette sublime conception du mal, et ainsi préparèrent pour l'homme un lointain futur en lequel une tel Christianisme combattrait un jour dans l'existence. Selon Rudolf Steiner cette volonté sera basée sur les fondations que l'existence des peuples Russes offre à un tel Christianisme.
Mais déjà nous avons atteint le temps où il y a des gens qui voient le monde du mal d'une manière si formidablement spirituelle, et qui le regardent non seulement en tant que ce qui ne doit pas être, mais comme un monde dans lequel est enseveli une plénitude non mesurable de profonde connaissance de Dieu, d'amour transcendant de Dieu et de service héroïque pour Dieu. Pour ceci est requis un regard sans peur qui regarde droit dans les yeux du mal dans son ultime horreur; une confiance forte, fermement basée sur la supériorité du bien sur le mal; une résolution héroïque, qui, face aux méchancetés du monde, demande non seulement, comme dans le passé, une preuve de la justice de Dieu, mais prend elle-même en main la justice de Dieu et l'accomplit à travers ses propres actes, en apportant le bien à partir du mal.
De tels gens, lorsqu'ils sont amenés à l'intérieur de la sphère du mal, se trouvent eux-mêmes exactement à la juste place. Ils savent qu'il est juste que des guerriers forts soient nécessaires au bien. Ils n'attendent pas un monde de paix extérieure et de bonheur tranquille tant que l'humanité est ce qu'elle est. Ils dirigent leurs propres actions, même lorsque peu de résultat peut être observé, comme une coopération avec la conquête divine du mal.
La perception basique de Rudolf Steiner…est ici d'une aide lumineuse—que le pouvoir de l'adversaire de l'évolution du monde consiste en deux aberrations :
D'un côté le pouvoir qui enferme l'homme dans l'égoïsme, et, même dans la forme d'une spiritualité supérieure, lui fait faire des efforts vers son bien-être personnel; et de l'autre côté, le pouvoir qui attire l'homme vers ce qui est terrestre, et le maintient prisonnier dans l'existence de la terre avec sa lourdeur et son obscurité mentale.
Ce sont les deux pouvoirs qui dans le Nouveau Testament sont clairement distingués comme étant le tentateur (diabolis) et le prince de ce monde (satanas). Plus clairement un homme voit ces deux pouvoirs de base, et les connaît de bout en bout, par leurs changements extérieurs d'habits et leurs multiples déguisements, plus clairement il se sentira lui-même être dans le monde en tant que guerrier de Dieu.
Une telle connaissance n'a rien à faire avec la superstition spectrale du mal; c'est un éveil à l'arrière plan du monde. On combat pour l'homme et pour la terre "avec les principautés et les pouvoirs", non plus "avec la chair et le sang". On sait qu'une grande vigilance est requise face à ces pouvoirs. On sent que la victoire sur eux est à l'intérieur de nous, qu'elle est gagnée de façon décisive à travers Christ.
Le combat dont nous parlons demande le plus grand héroïsme dont les hommes soient capables. Si nous cherchons une image pour la méditation par laquelle nous puissions l'amener à la vie, nous pouvons, peut-être, au début, ne rien trouver dans le Nouveau Testament qui soit assez approprié pour nous.
Nous pouvons penser à l'histoire de la Tentation. Mais parce que le mal nous rencontre dans les hommes en premier, et non dans les esprits, parce qu'il vient à nous dans les hommes, comme notre maladie intérieure, et non, ou pas autant, comme résistance consciente, parce que les hommes ont davantage chuté devant le mal que conspiré avec lui, par conséquent notre tâche immédiate peut être connectée avec le troisième "signe" du Christ dans l'Evangile de Jean, avec la guérison de l'homme impotent. (Jean 5:1-16)
RAYS JANVIER FEVRIER 2002 FRIEDRICH RITTELMEYER
Traduction Chantal Duros