MEDITATION

 

La Purification de l’Amour

 

 

 

"Au soir de tous les événements vous devez prendre une partie des Saintes Ecritures avec vous au lit dans vos pensées, que vous pouvez ruminer tel un animal, et vous endormir doucement. Mais il n’est pas nécessaire d’en prendre trop, mais plutôt une petite quantité, correctement approfondie et comprise ; et lorsque vous vous lèverez au matin vous le trouverez tel un héritage de la veille.".

Combien de lecteurs reconnaîtront que nous avons ici devant nous une phrase de Luther sur la méditation ? Il l’écrit au pasteur dans son “ratio vivendi sacrorum” (comment doivent vivre les prêtres). Dans cette phrase, comme souvent dans les écrits de Luther, deux périodes de temps se rencontrent. De son passé Catholique il a encore une connexion avec la méditation, qui était pratiquée sérieusement dans les monastères. Mais dans cette phrase un confortable Christianisme bourgeois se révèle aussi, qui devint par la suite le danger du Protestantisme. On ne ressent pas spécialement en elle de l’effort héroïque, qui distingue chaque véritable méditation. Luther en fait connaissait cet effort héroïque spécialement dans la prière. Mais  déjà, il est assez évident que quelque chose d’autre se fraie un chemin.

 

Et malgré tout l’expression rumination est remarquable, bien que la sphère d’où elle est prise soit inférieure. En méditation une phrase ou une image s’infiltre effectivement avec la substance de notre propre être humain, et nous pénètre avec la substance de sa propre existence. Plus fortement nous sommes capables de méditer, plus cette dernière pénétration survient. Un processus spirituel d’intégration prend place.

 

C’est le même processus que dans l’image de Luther, seulement sur un autre plan. Par conséquent plus d’une expression comme celle ci peut révéler exactement la voie correcte pour méditer. Et lorsque l’on ajoute "correctement approfondie et comprise", c’est aussi quelque chose qui appartient à la véritable méditation.

La sommation de Luther n’était pas, certainement, l’impulsion vers un nouvel âge de méditation. Mais plus d’un qui a aimé, et qui aime encore le Christianisme évangélique dans sa forme la meilleure peut être aidé par l’indication que nous voyons à cet endroit un nouvel âge religieux croissant en dehors de Luther, que Luther lui-même n’aurait pu introduire, mais vers lequel il y avait une approche en lui. Avec la phrase "ruminant tel un animal", Luther appelle déjà le lointain Darwin. Au lieu de ceci on peut dire "pénétré de l’être, tel un ange", et on évoquerait alors un âge nouveau.

Ici allons vers la question qu’un jeune lecteur de ces lettres   qui a  le pouvoir de méditation pose, à savoir, si la méditation   immédiatement au réveil n’est pas dangereuse, parce que l’homme en position horizontale est assez différent de l’homme en position verticale. Etant davantage dans un  état de métabolisme, de changement et de réparation dans son système, dans cette position il peut en effet avoir aisément des expériences spirituelles, mais elles viennent dans un état proche du rêve, hors de son système inférieur de vie.

Ce danger est certainement présent, et il est bon d’en être conscient. Dans l’Inde ancienne   ceci aurait été encore plus clairement ressenti. Mais le résultat du développement Européen (occidental) est tel que l’homme devient indépendant à un haut degré des choses extérieures, et aussi de sa position corporelle. La question est simplement si l’on est capable de méditer fermement d’une manière spirituelle lorsque l’on est allongé.

Et il est un fait d’expérience qu’il est possible de le faire, quoique dans la plupart des cas non sans pratique et effort. On notera soi-même que c’est une aide si l’on s’allonge au moins avec la tête surélevée, sans sortir de l’ambiance de la nuit. Spécialement, tant que l’on veut rapporter les expériences nocturnes à la conscience, il sera bon de ne pas changer trop la position du corps. Laissons chaque chercheur trouver  ce qui est possible pour lui. Dans de nombreux cas, la chose correcte juste est que la méditation prenne place, non pas dans une conscience au-dessous du niveau de la conscience diurne, mais dans une conscience plus forte, plus éveillée, plus claire que la conscience quotidienne, ou qu’elle soit dirigée vers une telle conscience.

Et à quel degré la conscience humaine peut devenir claire et spirituelle, on n'en a aucune idée au début.

 

Ceci est avant tout  vrai pour les méditations auxquelles nous venons maintenant. Si les sept "Je suis" étaient avant tout une sanctification de la pensée, nous nous tournons à présent vers la sanctification du sentiment. Qu’est ce qui prend place aujourd’hui pour anoblir le sentiment humain ? Ile st beaucoup fait par l’art de façon inconsciente. Et  il serait possible, de construire à partir des grandes œuvres d’art, un système d’auto entraînement similaire à celui que nous avons justement développé de l’Evangile de Jean.

Celui qui autoriserait chaque jour à la Madone Sistine de Raphaël, en couleur si possible, de travailler sur lui pendant cinq minutes, serait complètement changé en trois ans. La pure humanité divine de cette peinture—on ne peut l’appeler autrement—verserait son essence en lui.

 

Si les peintures ont une très forte action sur la vie du sentiment, à plus forte raison les peintures les plus intenses, celles qui agissent le plus puissamment, sont les événements que les Evangiles nous donnent sous la forme des actes du Christ. Aucun maître dans le monde ne les a jamais peints de façon digne. Nous aurons reconnu ceci à la fin de notre étude. Mais il serait peut-être bon que nous puissions peindre nous-mêmes intérieurement ces scènes. Elles deviennent ainsi plus libres, plus mouvantes, plus personnelles et encore plus riches en mystère que si un maître les avait passées en premier à travers son âme pour nous.

 

Mais rien ne rend notre vie de sentiment plus propre, changée, divine, que lorsque nous allons sur le vieux sentier à travers les sept dernières stations de la perfection du Christ. Mais nous prenons cette voie de façon sensiblement différente que les moines médiévaux. Dans les cloîtres, avant de plonger dans les douleurs et la résurrection du Christ, on devait en premier lieu pendant douze semaines, permettre aux douze chapitres précédents de l’Evangile de jean d’agir sur soi. En eux, le premier "Je suis" était contenu. Mais c’est quelque chose de différent quand on a en premier conquis le "Je" pour soi-même, comme nous avons cherché à le faire. On demeure alors plus protégé contre ce qui est simplement ressenti, et on entre bien plus dans ce qui est spirituel.

Seulement parce la pensée libre était encore affaiblie, le sentiment Chrétien au moyen Age était développé à une hauteur merveilleusement grande et pure. Ce qui fut exactement la tâche de cette période de l’histoire. Si nous souhaitons ne pas perdre ceci, mais le conquérir à nouveau, cela ne peut procéder seulement que par le "Je" éveillé,  conscient, fort, que l’âge nouveau a rendu possible. De cette manière la vie entière du sentiment reçoit un autre caractère, une plus grande spiritualité et une intégration du monde.

Si nous regardons notre vie du sentiment, nous verrons bientôt clairement qu’elle a  beaucoup plus besoin de nettoyage et d’auto-entraînement. Et du sentiment procède la volonté. Bien que la vie du sentiment semble être notre possession individuelle, entièrement verrouillée en nous-mêmes, elle est  cependant elle est tout comme la terre mère d’où notre vie entière grandit. Une âme qui est remplie de noble sentiment, si ces sentiments sont sains et forts, n’a pas besoin de se préoccuper de mener une bonne vie.

Maintenant un homme pourrait former sa vie intérieure en prenant les sentiments l’un après l’autre et jusqu’à les visualiser. Mais il est bien plus profitable et plus sûr de guider de nouveaux sentiments puissants vers l’âme, et de les laver, ou de laver à travers eux ce qui est déjà là. Même pour celui pour qui le Christ n’est pas encore ce qu’il est pour nous,  la passion du Christ apportera cette admiration qui permet d’aller avec le Christ vers un peu de sagesse.

Le nouveau sentiment qui est venu dans le monde à travers le Christianisme est appelé Amour. Lisons seulement les écrits des époques pré-Chrétiennes et notons que leur Soleil ne s’était simplement  pas encore levé. Même dans le Bouddhisme, dans sa gentillesse bienveillante envers toutes les créatures, il n’est seulement question que du soleil matinal.

Mais l’amour est entré dans les âmes des hommes d’une façon  telle, qu’il s’est mélangé avec chaque chose qui était déjà présente. Et  il s’est lui-même tellement terni, qu’il est à peine reconnaissable. Il est très vrai qu’il est appelé "Amour Chrétien". Assez souvent aujourd’hui on a l’impression que ce n’est pas l’amour Chrétien qui a changé les cœurs, mais que les cœurs ont changé l’amour Chrétien. Souvent c’est un faux enthousiasme pour le prosélytisme qui ne fait pas attention à la liberté de l’autre, et ni ne voit ni n’atteint son véritable égo ; souvent un ressenti sentimental qui seul corrompt le mot "amour" pour les hommes. Quelquefois c’est une nouvelle sorte d’occupation, dans laquelle l’homme s’échappe réellement de lui-même ; parfois, aussi, une curiosité mauvaise qui se  propulse elle-même dans chaque chose. Non moins rarement c’est ne perte servile de soi-même, que l’on appelle alors "dévotion désintéressée" ; non moins rarement aussi, une revendication de soi, dans laquelle, sous couvert  d’imitation du Christ, on souhaite voir tous les hommes comme soi-même. Il est affligeant de constater comment, sous le masque de l’amour Chrétien, l’égoïsme le plus détestable se diffuse lui-même de tous côtés, et ne pense jamais à se mettre lui-même à la place des autres hommes, encore moins à mourir pour eux. Aujourd’hui rien  ne requiert plus la purification que l’amour Chrétien lui-même. L’esprit pur et élevé de l’amour du Christ  a jusqu’à maintenant été à peine vu ou ressenti.

Et pourtant, en ce qui concerne l’amour, le Christ a donné le plus clairement et le plus délibérément, un enseignement précis, comme s’il avait prévu tous les dangers dont nous parlons.

Nous avons seulement besoin de penser combien rarement Il prononça le mot amour de sa bouche, et dans quel contexte Il l’utilisait alors. Comment, lorsque l’amour est  le sujet de la conversation, Il parle immédiatement de la parabole du Bon samaritain, la parabole dans laquelle est contenu un  catéchisme entier d’amour, mais en n’en parlant pas sous forme d’enseignement, mais comme une image, comme une action. Ou comment, Lui-même, à la fin de Sa vie, avant de parler de l’amour en tant que nouveau commandement pour Ses disciples,  donne comme une instruction pratique à Ses disciples eux-mêmes le Lavement des Pieds.

Tout ceci peut nous aider à approcher d’une manière juste la première station du chemin du Christ. Ici encore, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, nous n’entrerons pas dans les détails de la construction de la méditation, mais nous donnerons seulement des suggestions. Ainsi l’individu est laissé liber de forger sa méditation selon son choix. Et il aura ses propres expériences et trouvera sa voie personnelle. Si, comme certains le voudraient, nous reportions les suggestions dans leurs détails exacts, le lecteur aurait des difficultés à se dégager des détails, expérimenterait une sorte d’images stéréotypées, et ne pourrait pas les faire aussi facilement siennes, pour qu’elles puissent se développer ultérieurement de manière vivante.

Le lecteur ne peut pas s’épargner du trouble en faisant ceci. Mais ce conseil peut être donné : que l’on devrait placer en premier lieu l’histoire du Lavement des Pieds (Jean 13 :1-35) devant son âme d’une manière vivante et la prendre en soi.

Elle nous a été donnée dans ce dessein. Avec tous ses détails, le narrateur  l’a apposée sur sa propre âme : Jésus est ressuscité, a laissé de côté Son vêtement, a pris une serviette et s’en est ceint. Ainsi le Maître fut habillé comme un esclave. Tous ces détails sont devenus graduellement significatifs et transparents pour l’évangéliste.

 

Mais tous les détails doivent aboutir seulement à l’événement majeur, au merveilleux esprit de service, qui là se révèle lui-même en Christ. Si l’on a pénétré un sentiment vivant de cet esprit, on peut se représenter à soi-même que l’on respire cet esprit, comme on boit l’air lorsqu’on respire profondément. Selon les investigations de la science spirituelle, le sentiment est presque plus relié avec ce que l’on appelle l’"homme intermédiaire", avec l’homme qui vit au-dessus de tout dans le système "rythmique" des poumons et du cœur. On peut en effet  avec cette véritable méditation sur le sentiment, aller précisément à travers les cinq sens, les éveillant à un plan supérieur. Dans l’exercice Jésuite, l’exercice spirituel d’Ignace de Loyola, l’enfer est expérimenté dans tous les sens successivement, puisque l’on voit premièrement en imagination le tourment des damnés, puis on entend leurs pleurs, puis on sent la fumée, et ainsi de suite. Mais ici, dans  des méditations telles que le Lavement des Pieds, on peut réellement percevoir le ciel avec les sens supérieurs. Et on n’est pas obligé de penser que l’on doive avoir en premier passé séparément à travers l’enfer si on est devenu pleinement capable de recevoir le ciel, mais avec le ciel on expérimente un enfer en même temps, tant qu’on le porte à l’intérieur de soi-même, l’être en lequel le mauvais se déchaîne, l’être qui n’est certainement pas le ciel.

 

Lorsque l’on a rendu  claire à l’œil spirituel l’image du Lavement des Pieds, alors on peut chercher à recevoir l’être du Christ avec l’oreille spirituelle comme un son merveilleux, puis à respirer dans l’odeur du sacrifice, alors—comme dans la phrase biblique--"Goûte et vois comme est bon le Seigneur"—à expérimenter le goût d’une telle action, comme  avec la langue, et à la fin, à toucher l’acte très concrètement et spirituellement et passer dans le chaud sentiment de sa vie. Tout ceci  demande de la pratique. Mais alors elle donne à l’homme une impression vivante d’un monde supérieur, dans lequel ses sens aussi changent. Nous disons ceci ici comme étant applicable à toutes les méditations sur les images, et maintenant tournons-nous à nouveau vers l’image devant laquelle nous nous tenons.

Comme une devise sous le Lavement des Pieds s’inscrit la phrase dans la Bible :"Les princes de ce monde exercent la domination—mais le Fils de l’Homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner Sa vie en rançon pour tous" ; seulement cela, à la place de "Fils de l’Homme" dans l’Evangile de Matthieu, dans le sens de l’Evangile de Jean, le mot "Je" pourrait être placé, "Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir".

 

Dans un mot tel que celui-ci, le Christ se place Lui-même contre César, qui, au même moment dans l’histoire du monde, apparaissait dans le monde pour le gouverner ; Si nous pensons à cette coïncidence dans le temps, nous commençons à voir que l’égo, tel qu’il doit se développer dans le monde, voit devant lui-même deux voies—soit la voie par la guerre vers le pouvoir, ou la voie par la liberté vers l’amour. Christ et César sont opposés l’un à l’autre jusqu’à la fin des jours et combattent pour l’égo de l’homme. Cette guerre historique est menée aussi en notre nom. La parole du Christ  faisait justement référence  à une décision historique finale et un défi à César qui ne pouvait être plus évident. En cette opposition décisive nous avons d’une manière sublime  la même chose que, peut-être en dehors des mystères, fut représentée aux hommes comme l’opposition entre l’amour céleste et l’amour terrestre. Et l’on peut trouver cette lutte nulle part  de façon plus impressionnante que dans l’histoire de Rome elle-même !

 

Christ a conduit César de son trône à Rome, mais en dépit de ceci, César s’est jeté encore et encore sur Christ à Rome et l’en a chassé. La papauté est une bataille entre César et Christ. César, le tyran domestique, la terreur des subalternes, le revendicateur et le vengeur, doit être extirpé de chaque coin de nos vies. Après l’ascension au trône, les princes lancent une proclamation à leurs peuples. Aussi, après l’ascension du Christ au trône, un message royal suit pour tous ceux qui veulent lui appartenir, "Je vous donne un nouveau commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. Par ceci tous les hommes vous connaîtront comme mes disciples, si vous avez l’amour les uns pour les autres." Si on se place activement soi-même devant cette décision, on a la même décision  de faire avec le monde comme  les Jésuites ont en plaçant le Roi Lucifer à Babylone contre le Roi Christ à Jérusalem. En connexion avec les Evangiles cette décision est plus intérieure et a un plus grand contenu.

 

Nous ne souhaitons pas donner ici un éclaircissement de la Bible, mais seulement créer une façon, comme une toile de fond pour la méditation sur le Lavement des Pieds. On doit ressentir très fortement l’essence royale de cet amour. Alors l’amour perdra sa petitesse, sa mesquinerie, la servitude qu’elle a encore dans le monde Chrétien. Christ était inquiet que cette essence royale soit ressentie, "Vous m’appelez Maître et Seigneur, et vous dites vrai, car Je le suis. Si je suis donc votre Maître et Seigneur, et ai lavé vos pieds, vous devez aussi vous laver les uns les autres les pieds". Seul celui qui sent cette essence royale, cette essence divinité de l’Amour lui-même, deviendra tout à fait libre de ce désir secret pour la reconnaissance et la gratitude. Il sait qu’un tel amour est la seule attitude divine possible envers les êtres. Car le Dieu supérieur n’a rien au-dessus de lui, mais toute chose sous lui. Sa vie peut consister uniquement en ceci—qu’il se tourne vers ceux qui sont en dessous de lui.

On n’a pas encore beaucoup de véritable vie divine intérieure en soi si on ne sent pas  que Dieu cherche en nous aussi ceux qui ont besoin d’aide. Seul dans le royaume d’amour on trouve que Dieu est véritablement en nous.

Si à travers ceci une nouvelle sorte d’orgueil qui serait en raison de ceci le plus horrible, Christ supprimerait cet orgueil en se mettant à faire l’action la plus humble avec cet amour royal, en faisant premièrement cette humble action avant de parler. Il ne dit pas en premier :"Vous devez vous aimer les uns les autres", mais "Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres". Comme pour se garder pour toujours de tout orgueil, Il se met en exemple devant les disciples :"Que vous fassiez comme j’ai fait pour vous". En de telles superbes qualités, on sent l’esprit du Christ.

 

"Comme je l’ai fait pour vous"—les mots sont si pleins de signification. Peut-on peut-être saisir la signification de la totalité de l’action du Christ pour l’humanité sous le symbole du Lavement des Pieds ? Ceci peut être mieux fait en faisant appel à certains concepts de la science spirituelle. L’homme, à travers sa chute, s’est effondré sur la terre, ayant auparavant été bien moins développé mais bien plus spirituel. La terre, sur laquelle il erre à présent, est le lieu du péché. Du dessous, de la terre, qui est devenue la sphère de sa vie, l’homme tel un être spirituel se salit lui-même encore et toujours –même si le mal ne l’assaille pas, même s’il n’est pas présent en lui-même. Et de cette manière aussi il se produit que l’état de la volonté d’un homme s’exprime elle-même spécialement dans ses pieds, aussi bien que dans ses mains. Si un homme est en colère, il crispe ses poings et tape des pieds. Dans la démarche d’un homme, l’état de sa volonté est plus clairement visible qu’il ne le remarque généralement.

Par exemple, il y a le pas court, autoritaire, et le traînement  faible, lourd. Il n’est pas sans signification que l’on parle de l’"allure impure". Mais le Christ est venu sur terre pour aider les hommes du très bas vers le supérieur.

Il guérit le sol sur lequel marche l’homme. Il guérit aussi les pieds avec lesquels il marche. Suivez-moi ! Je suis le Chemin !

 

Comme si pour un signe qui ici sont de profonds secrets, deux très différentes sortes de pieds sont placées en opposition l’un à l’autre dans l’histoire du Lavement des Pieds. "Celui qui mange le pain avec moi a levé son talon contre moi". On doit seulement prendre ce mot dans son sens le plus évident des mots de l’Hébreux original :"Celui qui est mon invité lève son talon contre moi". C’est aussi l’image de César. Il siège à la table divine, un invité, comme les autres, mais dans son exaltation il a en même temps repoussé la terre sur laquelle il vit, et ainsi insulté l’esprit de la terre.

 

De ceci nous comprenons le fait remarquable, que Rudolf Steiner mentionne dans ses lectures sur l’Evangile de Jean, que les mystiques du Moyen Age, lorsqu’ils entraient pleinement dans l’expérience du Lavement des Pieds, croyaient réellement qu’ils sentaient l’eau se déverser autour de leurs pieds. Le physiologiste moderne n’aura ici aucune hésitation en parlant de suggestion. Elle peut survenir ici et là. En réalité, un autre processus, qui est entièrement sacré, est souvent à la base de ceci. Lorsqu’un homme s’unit lui-même totalement au Christ, il perd cette pulsion égoïste de la mère terre sur laquelle il se tient. Il plonge, particulièrement avec ses pieds aussi, dans une spiritualité active. Car seulement pour une voie simplement externe de pensée sont les pieds si peu spirituels et purement corporels, tels qu’on les considère aujourd’hui. En eux l’homme est uni aux forces de la terre qu’il peut sentir spécialement en eux.

 

Depuis que le Christ est présent dans l’existence terrestre, ces forces de la terre peuvent être entièrement christianisées, peuvent devenir totalement des agents à travers lesquels l’esprit de Christ peut travailler. L’image de ceci est donnée dans la vision du Christ dans la Révélation de St  Jean. Christ Lui-même apparaît là avec des pieds comme du cuivre en fusion : les forces les plus denses de la terre avec le feu de l’amour rougeoyant en elles. Ces mystiques expérimentèrent le commencement de ceci ; et les hommes d’aujourd’hui peuvent l’expérimenter. Alors on a l’expérience de purification de la purification du bas jusqu’en haut.

Au début, certains seront capables d’entendre une telle évidence. Ils peuvent, en effet, supposer que de telles images Bibliques ne contiennent rien de fortuit, même dans leurs détails. Si l’on s’abandonne soi-même à elles, on a non seulement des expériences morales religieuses dans le cœur, mais on va vers un monde nouveau.

 

Mais en premier lieu chacun peut entendre en dehors de l’histoire elle-même la voix du Christ—l’Amour signifie laver les pieds, prendre l’homme dans ses circonstances terrestres, et à travers cet acte l’aider à aller de l’inférieur vers le supérieur.  Il est pourtant puéril d’imiter l’exemple du Christ extérieurement, comme les rois de Bavière le Jeudi Saint rassemblaient quelques vieux hommes, et versaient de l’eau sur leurs pieds—qui avaient été complètement nettoyés auparavant. C’était mieux au Moyen Age lorsque certaines communautés célébraient véritablement le Lavement des Pieds en tant que sacrement. Il est de loin préférable, lorsque nous  avons l’opportunité de témoigner l’amour, de laisser cette image s’élever devant nos âmes : le lavement des Pieds—qui est le grand acte du Christ Lui-même. C’est Son exemple divin. Nous en viendrons alors à avoir des pensées tout à fait autres que si nous souhaitions avoir l’amour comme un sentiment plaisant dans nos cœurs. De bas en haut, sanctifier les hommes du sol vers le haut à travers l’acte de service : c’est l’amour Chrétien. Beaucoup d’ordres monastiques dans le passé avaient des exercices en humilité. Mais le merveilleux mot humilité a de nombreuses tâches  sur lui aujourd’hui. Nous devons le reconquérir en tant que volonté royale de servir.

Si cette volonté vit en nous, alors nous pouvons toujours la renforcer et l’inspirer encore de l’image du Christ, de l’exemple du Lavement des Pieds. Regardons alors, après avoir amené un sentiment juste intérieurement d’une étude des détails, regardons seulement le trait principal, Christ, dans cette divine volonté de servir, lorsqu’Il lave les pieds des hommes—les pieds des hommes. Aspirons en nous-mêmes cette volonté, cette forme de pensée, jusqu’à ce que nous en soyons remplis—si possible si fortement que nous pensions que maintenant à travers toute l’éternité rien d’autre ne pourra vivre en nous.

Durant cet exercice et les exercices suivants de ce second groupe, nous pouvons sentir notre égo, tel que nous l’avons acquis du premier groupe d’exercices,  être au moins exactement comme la Coupe du Graal, qui se laisse elle-même remplir d’en haut par le plus noble contenu, par le sang sacré de Christ lui-même. Ce n’est pas que nous entrions extérieurement en compagnie du Graal et jouions avec les pensées du Graal, mais que nous acquérions intérieurement l’expérience du Graal. L’égo peut, comme une coupe inversée, se fermer à ce qui est au-dessus, et éclipser les autres en dessous ; alors elle devient un César. Un César, plus grand ou moins grand, dépend  de ses dons. L’égo peut aussi s’ouvrir lui-même vers ce qui est au-dessus et se donner lui-même en tant qu’offrande à ce qui est en dessous ; alors il devient un disciple de Christ. Jean Baptiste se tenait à la porte des choses nouvelles ; l’égo  se sentait lui-même solitaire et vide et appelait un contenu. Alors vint le Christ qui dit :"Je suis", et maintenant nous prenons en nous-mêmes le contenu essentiel de ce "Je suis". C’est l’expérience du Graal.

Ici l’on voit clairement en effet que ceci n’a rien à faire avec le sentiment "mystique", tel qu’on comprend le mysticisme de nos jours, mais est une forme fondamentale d’entraînement pour l’homme tel que l’homme le requiert aujourd’hui.

 

 

 

RAYS  SEPTEMBRE  OCTOBRE 2000            FRIEDRICH RITTELMEYER

 

Traduction Chantal Duros