LE DERNIER ENNEMI A CONQUERIR
Nous avons à présent atteint le couronnement de nos exercices pour la volonté—Christ au tombeau de Lazare. De la mort Il extrait la vie. Ceci est le résumé de tous les combats. De la maladie, la santé doit vaincre ; du péché, la résurrection ; du besoin, l’amour ; de la faiblesse, la foi ; des ténèbres, la lumière. De derrière tous ces mondes, la mort nous observe, comme la fin de tout. Si la vie en est extraite, c’est comme si les « cieux » étaient amenés sur terre.
Avec ceci, le nouveau pouvoir de volonté a commencé pour nous, donc ce septième acte du Christ est véritablement le résumé et le climax de l’œuvre du Christ.
Christ au tombeau de Lazare. Aujourd’hui il y a encore des gens qui ne savent pas que faire du « miracle » d’un réveil du mort. Qu’ils prêtent attention aux petits détails de l’histoire (Jean 11) : Combien le Christ est profondément touché par le chagrin pour Son ami, et aussitôt attaque la mort ; combien la gravité de l’heure l’effraie, et cependant Il ne s’en écarte pas un seul instant ; comment Il reçoit dans Son âme l’attitude des personnes en deuil, et en même temps parle avec des mots qui portent en eux de grandes décisions cosmiques ; combien Il ressent fortement l’événement individuel, et cependant regarde avec une ferme résolution dans les yeux de l’ennemi de la race humaine ; comment Il porte Son ami dans Son âme, et déjà est plein de lumière venant du Père ; comment Il mène chaque chose étape par étape vers la décision finale ; comment, avec le plein pouvoir du conquérant, Il s’oppose Lui-même à la mort. Tout ceci est déjà une image qui travaille sur nous si puissamment qu’elle éveille les derniers et meilleurs pouvoirs de notre volonté—quelle que soit l’attitude que l’on puisse prendre envers l’histoire. On ne peut pas se permettre d’être affaibli dans l’étude de cette image en ayant à l’esprit la conception ésotérique qu’ici une initiation a lieu qui mène des anciens mystères vers un temps nouveau. Car Lazare était mort et aurait du demeuré mort, si le Christ n’était pas venu. C’est un triomphe du pouvoir de vie du Christ dont il nous est permis de témoigner.
Si nous regardons le Christ tel qu’Il se tient devant nous dans l’histoire, c’est comme si un prisonnier dans nos âmes entendait les voix de son libérateur ; comme si l’Evangile se poursuivait en nous ; comme si l’appel, « Lazare, lève-toi et marche » ! résonnait dans le tombeau de notre propre être, et profondément en lui, quelque chose que nous-mêmes ne connaissons pas cherchait là à s’élever. Un amour débordant pour Christ, pour ce Christ, peut alors se mouvoir en nos âmes. Nous sentons qu’Il est complètement différent de ce que nous avions jusqu’à présent pensé qu’Il était ; plus qu’un conquérant, plus puissant dans Sa force, plus majestueux. Cet homme ou rien—ainsi nous dit notre âme—est la victoire sur la mort, le libérateur des hommes qui vivent « dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort », le roi de l’humanité. Nous ressentons dans chaque membre vers quelle bataille entre Christ et les pouvoirs de l’ennemi nous sommes appelés par Lui. Nous sentons—c’est le combat pour l’homme.
Lorsque nous construisons devant nous cette image pour notre méditation dans ses caractéristiques principales, nous voyons en Lazare l’homme lui-même gisant dans le tombeau. C’est en effet la fin de la vie de l’individu, c’est la fin de l’humanité—si Christ n’est pas là. La maladie dont l’humanité souffre mène à la mort—et pourtant ne conduit pas à la mort. La pierre est étendue sur la tombe. En cette pierre nous voyons l’image de la matière. Novalis exprimait la phrase remarquable, « La terre s’est durcie en pierre de la peur pour les hommes ».
Que le monde nous semble si lourd, si sombre, si impénétrablement matériel, vient de ce que l’homme a lui-même sombré dans la matière. En Egypte autrefois, comme l’homme sombrait de plus en plus dans cette existence terrestre matérielle, ils élevaient la pierre, comme une prière. Sur la même pierre que le Mont Sinaï fournit de ses pics, la pierre avec laquelle les Egyptiens élevèrent leurs constructions massives, Moïse écrivit le commandement divin. Mais la loi Mosaïque elle-même repose telle une pierre sur l’humanité. « Qui ôtera la pierre de la porte de ce tombeau » ? C’était une question d’humanité. Tout ceci, lorsque nous l’avons porté à la vie avec le sentiment en notre conscience, vit dans l’image que nous étudions. Autour de ce tombeau est le deuil, le deuil du monde. Nous avons déjà vu comment le doute, Marthe, et le chagrin, Marie, sont les deux gardiens de ce monde-tombeau.
Puis, le Christ apparaît. Nous Le voyons tel que nous l’avons décrit auparavant. Des hauteurs des mondes aux profondeurs de la terre résonne l’appel : « Lazare, lève-toi ! » Il dit cela, celui qui peut dire de Lui-même, « Je suis la Résurrection et la Vie ! »
Nous nous élevons nous-mêmes du tombeau de la terre. Nous nous unissons nous-mêmes à Lui. Nous nous tenons à présent avec Lui de l’autre côté du tombeau. Avec Lui nous sentons : La mort ne doit pas être ! La mort dans ses milliers de formes doit être vaincue ! Dans chaque recoin de notre être nous nous remplissons de cette divine volonté ! Nous serons résurrection ! Nous serons éveilleurs !
A la fin de nos trois séries d’études nous en sommes encore arrivés à la résurrection. Cela est en accord avec l’esprit de l’Evangile de Jean. Cela est en accord avec la volonté du Christ Lui-même. « Il n’y aura plus de mort ». « Le dernier ennemi qui devra être détruit est la mort ».
Il arrivera certainement encore une fois que l’homme soit capable d’éveiller la mort. Si déjà, l’apport de l’air, la stimulation extérieure du mouvement, la secousse d’un corps, peuvent ramener un homme à la vie, pourquoi le pouvoir de l’esprit ne serait-il pas capable de le faire—le pouvoir de la vie qui coule vers lui ? Ce sera certainement possible seulement dans des cas exceptionnels. Mais ne peut-on pas déjà en voir ici les débuts ? Il peut arriver que la joie puisse envoyer aux mourants un pouvoir qui les remplit d’une vie nouvelle. Il peut arriver que lors de crises qui sont déjà résolues à la mort la victoire soit remportée par la force spirituelle de l’homme. Il peut arriver qu’une personne malade, qui selon toutes les règles médicales doive mourir, puisse être gardée en vie, ou puisse elle-même se maintenir en vie, par des forces intérieures de santé. Ce n’est pas fréquent. Mais si nous entrons dans la chambre du malade, dans la chambre du mourant, que nous soyons remplis jusqu’à déborder de vie, si le pouvoir de résurrection du Christ lui-même est à l’intérieur de nous, alors nous devrions expérimenter de merveilleuses choses. Nous devrions avoir souvent l’impression que la mort volait devant son vainqueur, qu’elle l’avait reconnu. Mais même si sa proie ne pouvait être mise en pièces par lui extérieurement, il sortirait en vainqueur avec butin de valeur, et la musique triomphale remplirait la chambre.
Nous pouvons laisser au futur ce que l’homme expérimente déjà de cette façon. Mais notre méditation renforcera en nous la conscience que l’homme puisse ne pas baisser les bras devant la mort, mais doive se tenir droit devant la mort, doive défier le visage de la mort, s’il doit être un homme dans le plein sens du mot.
Ce que nous sommes d’abord capables de faire, certainement capables, est d’abattre la mort à l’intérieur de nous-mêmes. Ne croyons pas que ceci soit déjà arrivé lorsque nous avons un espoir général au-delà du tombeau. Cela devient possible, cependant, si nous appelons la mort encore et encore pour être notre compagne.
C’est ce que de nombreux peintres des premiers temps, ce que Boecklin représente dans son portrait de lui-même, que nous devrions avoir la mort à côté de nous et faire d’elle notre inspiratrice, c’est la voie pour nous libérer nous-mêmes d’elle—et elle de nous.
« La mort est le moyen que la nature a entre les mains par lequel elle peut avoir le plus de vie possible ». Cette phrase de Goethe, Bouddha n’a pas le pouvoir de la dire, parce qu’elle n’est possible que sur une base Chrétienne. Elle a été dite de la mort multiple de la nature. Elle doit être reconnue en sa signification pour la vie intérieure. Lorsque le dernier reste de vie a été extirpé de la mort, alors la mort peut véritablement entrer dans son repos. La mort souhaite être « l’amie » de l’homme, pas seulement lorsqu’elle se pose sur le lit de mort et achève les chagrins de la vie.
Des sentiments puissants de triomphe sont développés en l’homme par la mort. Elle nous donne un pouvoir concentré de vie. L’ennemi, la Mort, devient notre amie dans la Vie. Pour celui qui se sait déjà prêt, à tout moment, à passer, complètement librement, vers l’autre monde aussitôt que la destinée l’appellera, et qui va au-delà du sentiment terrestre : « Durant l’heure prochaine, la balle du meurtrier peut me frapper. Alors non à cause d’une volonté humaine, mais parce qu’une volonté divine entre dans ma vie, je me projette à côté de mon corps, et vais librement dans l’autre monde : « pour lui la mort est devenue une « mort libre » dans un sens plus élevé que ne veut le dire Nietzsche. Pour lui la victoire résonne à travers sa vie. Pour lui la mort et la transition de ce monde ne sont seulement que des moyens d’obtenir la vie véritable. Il revient invincible vers à la terre, avec un sentiment exalté de liberté.
Tout ceci sommeille dans les profondeurs de notre méditation. Nous ne pouvons pas atteindre ces hauteurs dans la vie plus certainement que lorsque nous nous unissons à la volonté de vainqueur qui fait de Lazare un Jean. Nous voyons intérieurement en Christ, qui ensuite Lui-même brisa la mort.
Mais davantage encore repose dans notre méditation. Lorsque le Christ dit, « Laissons les morts enterrer les morts, mais allez et proclamez le royaume de Dieu », on voit clairement qu’Il sent la vie autour de Lui être morte. La phrase concernant le royaume de Dieu est un appel à la vie qui résonne dans le royaume de la mort. Nous n’existons pas simplement pour continuer à exister personnellement après la mort, mais principalement pour conquérir la mort. Les apparences trompeuses de la vie dissimulent la mort partout. Peints dans les couleurs de la vie, les morts sont utiles dans le monde. Toute cette mort, que nous voyons dans des formes sans nombre sur terre, appelle à la vie. Lorsque nous nous remplirons nous-mêmes à ras-bord des courants de vie, lorsque nous irons dans le monde en tant que vie elle-même incarnée, alors nous verrons correctement cette mort dans des milliers de changements de robes, et irons la rencontrer en tant qu’appel à la vie.
A nouveau nous pouvons regarder l’Orient et l’Occident pour éveiller à la grandeur de notre appel. En Orient, ils voient la mort avec une clarté sublime. Dans toute fleur de vie se cache le germe de destruction. Cette vision de l’Orient éveillé est plus profonde que la vision de l’Occident. Mais la volonté de l’Occident est plus correcte que celle de l’Orient.
En Orient ils souhaitent échapper à la terre dont la règle est la mort. En Occident, ils ne souhaitent pas qu’eux-mêmes, mais la mort, soit prise par la terre. Mais la mort est attaquée par des moyens totalement inadéquats. Ils combattent avec des méthodes de rajeunissement et d’hygiène. Ils combattent faiblement avec toutes sortes de tentatives pour détourner la mort. Ils ne veulent pas faire face à la mort, ou ils la repoussent aussi longtemps qu’ils le peuvent. Voir ce que voit l’Orient, vouloir ce que veut l’Occident, mais être capable de faire ce que l’Occident et l’Orient ne peuvent pas faire : c’est notre mission.
C’est également un éveil de la mort lorsque dans la vie nous exigeons de nous-mêmes de voir à nouveau en chaque homme son être spirituel, lorsque nous voyons à travers la forme, celle qui porte, les mots d’un homme à son véritable égo. Même pour ceci est requis davantage de pouvoir spirituel et de volonté inlassable de vivre que nous exigeons habituellement dans nos vies. Dans notre méditation nous croîtrons dans cette volonté et dans ce pouvoir. Nous expérimenterons alors que les hommes ressentent pour la première fois qu’ils sont correctement traités par nous.
Nous avons atteint une hauteur supplémentaire lorsque nous allons avec un pouvoir d’éveil à travers la nature. Nous ne voyons en elle aucune mort, mais l’esprit ; non d’une sorte terrestre, mais une image divine ; non ce qui meurt, mais un message des royaumes supérieurs. Chaque plante peut être considérée. Nous n’atteindrons pas ceci par une simple décision. Dans une simple promenade nous pouvons le deviner. Mais nous pouvons nous renforcer pour cet exercice nous-mêmes en elle, si de temps en temps nous appelons aussi les plantes dans notre méditation—regardez une rose, un lys spirituellement, et écoutez la révélation qui vient d’elles à nous. Si nous allons alors dans la nature, ce sera souvent comme si une réjouissance sur la rédemption passait à travers le monde, comme si le monde autour de nous devenait tel que des vies dans le monde spirituel, comme si nous-mêmes marchions dans le Paradis. Christ est l’éveilleur de la mort. Nous devrions avoir le courage d’être ceci avec Lui aussi fort que nous le pouvons.
Il y a une sphère spécialement en laquelle nous devons ne laisser la mort avoir aucune influence—celle de notre départ. A présent nous sommes devant une question qui est souvent posée : Que pouvons-nous faire pour notre mort en méditation ?…
Ici quelques remarques d’introduction seulement seront faites. On devrait toujours aller à la rencontre de nos morts sur un mode de tranquillité sacrée, non avec des souhaits agités ou sur un mode égoïste, mais en remerciement qu’ils aient existé. Ceci viendra plus facilement si l’on se rappelle les heures où l’on était avec eux dans une convivialité humaine. Le sentiment de base devrait être : vivre pacifiquement ici en regardant là-haut. Je lutterai à ma manière sur terre. De moi ne viendra à toi que l’amour, qui te porte d’en bas lorsque tu vis vers la lumière d’en haut. Seulement agréable sera cet amour autour de toi. Je te parlerai non de mes chagrins, mais les joies que j’ai expérimentées, du bien spirituel qui est venu à moi. Un tel amour est comme un pont de lumière sur lequel nous pouvons construire vers les morts, sur lequel nous pouvons venir à eux et eux vers nous.
En premier, un sentiment de communauté avec eux s’élèvera. Nous nous sentirons nous-mêmes proches d’eux la nuit, lorsque le bruit du jour à l’intérieur de nous et autour de nous fait silence. Nous nous éveillerons au matin avec le sentiment d’avoir été en union avec eux et marché avec eux dans des lieux élevés. Puis nous aurons quelquefois le sentiment de leur proximité durant le jour. Peut-être lorsque nous tournerons notre attention sur ce sentiment, il sera déjà parti. Mais le sentiment qu’ils nous aident est un tel enrichissement de notre vie que même quelques pressentiments de cette sorte la changent totalement. Nous apprenons à connaître une profondeur, une proximité et une beauté de fraternité dont nous avions été auparavant inconscients.
Quelque chose de jamais encore entendu du futur de l’humanité s’élève devant nos yeux, dans lequel la vie est passée dans un travail commun des vivants avec les morts, et des morts avec les vivants.
L’opposé de ceci survient dans des séances spirites, fantomatiques et démoniaques. Les médiums n’atteignent pas nos morts, parce qu’eux-mêmes passent dans une condition inférieure de la vie de l’âme, dans une semi-conscience ou une conscience crépusculaire, alors que nos morts vivent dans la brillante plénitude de la vie. Ainsi les médiums viennent seulement dans le royaume où sont les enveloppes que nos morts ont laissées de côté. Par conséquent ils en rapportent uniquement des phrases absurdes qui ne nous disent rien, mélangées peut-être à des mémoires de la vie passée, et de vagues imaginations. Si nous atteignions réellement nos morts à travers ces médiums, ces questions et souhaits égoïstes pour les morts ne seraient qu’une sérieuse perturbation et les offenseraient dans les tâches qu’ils ont à présent. Il y a en effet une manière de questionner les morts, mais il s’agit de leur envoyer des questions dans une parfaite quiétude, lorsque nous allons dormir le soir et de chercher à ressentir au réveil le matin la réponse qui est dans nos âmes. Tout ceci devrait être dans cette pure sphère que nous avons décrite plus haut : « Je suis la porte ».
Si nous devions réussir à sentir que la mort n’est rien à l’égard de nos amis qui sont partis, et que nous vivions avec eux comme avec des gens qui ne sont pas partis, mais sont passés devant nous, pour que nous les portions dans un pur monde de vie à l’intérieur de nos âmes, alors nous aurions l’impression que par cette attitude nous les aidons. Même lorsque nous ne trouvons aucune relation à eux dans les détails, cependant si nous laissons leur forme, leur aspect, leur voix, leurs meilleurs sois vivre et travailler à notre souvenir, nous aurons l’expérience d’une forme supérieure de fraternité. Nous ne faisons aucune distinction entre le vivant et le mort. Nous connaissons des vivants qui sont morts, et des morts qui sont vivants. Puisque nous ressentons souvent l’existence des morts plus purement et fortement que l’existence des vivants, nous leur donnons véritablement la possibilité de partager notre vie. Nous éveillons les morts. Notre méditation nous aide à ceci.
RAYS SEPT/OCT 2002 FRIEDRICH RITTELMEYER
Traduction Chantal Duros