Jimmie recherchait la sympathie. Il se sentait blessé et avait appelé Marjorie avec la vague idée que Marjorie pourrait peut-être lui dire pourquoi Louise avait agit de façon si extraordinaire. Dans les royaumes élevés, la connaissance ne s'acquiert pas toujours de la même manière que sur le plan physique, mais l'âme avancée peut très souvent savoir certaines choses en tournant simplement son attention vers elles.
Jimmie était au courant de ce fait, mais se trouvait doublement empêché de s'en servir, car d'une part, il n'était pas encore assez avancé pour obtenir une information très complète par ce moyen, et d'autre part, il aurait été peu loyal d'essayer de savoir pourquoi Louise avait agi ainsi, à moins de le lui demander en s'adressant à elle directement.
Mais il restait une petite chance pour que Marjorie sût quelque chose à ce sujet et il pensait qu'elle lui prouverait sa sympathie en l'encourageant, même si elle ne lui donnait aucun renseignement.
Cependant, bien que Marjorie ait accouru à son appel, elle n'était pas venue pour ce qu'il en attendait. Il savait qu'elle pourrait distinguer, à l'intensité des vibrations l'environnant, la profondeur de son trouble, et il s'attendait à la voir emplie de sympathie et d'intérêt à son égard, prête à lui prodiguer son aide. Il fut donc un peu choqué de la voir si heureuse, si pleine de joie de vivre. La sympathie était apparemment bien éloignée de son esprit.
- Oh! Jimmie, je suis si contente que vous m'ayez appelée! Je me demandais si vous alliez revenir bientôt, j'ai tant à vous dire! Les plus belles choses auxquelles vous ayez jamais rêvé!
Jimmie la regarda, contemplatif, mais demeura silencieux.
- Ils m'ont donné de l'avancement, Jimmie. N'est-ce pas magnifique? Maintenant, je peux travailler davantage et être réellement de quelque utilité. Ils m'ont donné une petite classe à éduquer, quelques-uns des petits enfants récemment arrivés de ce côté, ce sont de si chers petits! Ils étaient épouvantés et égarés! Mais je leur ai montré qu'ici il n'y avait rien à craindre, rien, mais que l'amour les entourait. C'est si beau de les voir abandonner leur terreur, et s'épanouir comme de petites fleurs sous le soleil! Je suis si heureuse que je ne peux rester en place!
Quelle leçon objective ce serait pour les affligés de la terre, s'ils pouvaient voir cette radieuse jeune fille possédant l'amour et le bonheur du plan sur lequel elle vivait, transfigurée par la joie du royaume dans lequel elle conduisait ces petits êtres chassés de leur corps par la dureté des conditions du plan physique. Si les parents de ces enfants pouvaient la voir, ils manifesteraient leur peine et leur sympathie, non pas à ceux qui sont "morts", mais à ceux qui sont restés pour faire face à la longue lutte et aux rudes expériences de la terre.
Jimmie essaya d'entrer dans les même dispositions et réussit à la féliciter de l'oeuvre qu'on lui avait assignée, mais la pensée dominante en son esprit ne pouvait être bannie si aisément, et il avoua:
- Je suis affligé, Marjorie...
Instantanément, le visage de Marjorie devint grave. Jimmie poursuivit:
- Auriez-vous vu Louise récemment?
- Non, Jimmie, je ne l'ai pas vue. J'ai été si occupée. Puis, d'ailleurs, vous savez que je ne peux redescendre ainsi sur le plan terrestre. Le seul moment où il m'est possible de voir quelques-uns de mes anciens amis est la nuit, lorsqu'ils viennent ici dans leur sommeil, mais bien souvent ils oublient de venir. Je suis certaine que rien ne vous afflige sérieusement. Puisque vous et Louise êtes tous deux sur le plan physique, il ne vous est pas difficile d'aller la voir si vous le désirez. Il est heureux pour vous que je veuille bien oublier immédiatement votre question. Mais si vous aviez posé cette question de pure curiosité au Frère Aîné, qu'aurait-il pensé?
Son visage s'éclaira et elle recommença à se moquer de lui, mais elle l'avait tout de même un peu choqué.
- Marjorie, j'envie ces petits enfants. Un de ces jours, si je le peux, je reviendrai voir votre classe. Maintenant, je vais repartir et tenir compte de votre avis car vous m'avez aidé plus que vous ne le croyez peut-être, et plus que je ne l'attendais. Vous êtes une chère, véritable amie, Marjorie.
Après avoir réintégré son corps physique, Jimmie repassa dans son esprit les paroles de la jeune fille et comprit mieux combien son égoïsme l'avait égaré. "Curiosité!" Une "question de pure curiosité!" Certainement, c'en était une. La seule chose défendue, il l'avait accomplie. Et sans le repousser ni insister sur sa faute, elle lui avait gentiment, avec indulgence, indiqué son erreur. Il se promit de ne jamais renouveler à l'avenir une telle faute, ni oublier le grand mot d'ordre "Service".
- Mère, je peux voir! Oh! Maman, Maman! Je vois!
- Vous le pouvez, chérie! Est-ce sûr? Ne fatiguez pas vos yeux! Rappelez-vous ce qu'a ordonné le docteur, et laissez-moi vous remettre le bandage.
- Non, non. Je ne veux pas porter plus longtemps cet affreux pansement. Je peux voir, je vous assure. J'ai vu le vieux pin sur la crête aussi bien qu'autrefois. Ne me remettez pas le pansement, je vous en supplie! Je garderai les yeux fermés, et ce sera tout aussi bien. Je vous le promets vraiment, sincèrement, et je vais aller faire une petite promenade, toute seule. Je vous promets encore de ne pas regarder beaucoup, de tenir mes yeux clos la plupart du temps.
- Vous êtes une enfant capricieuse! N'y allez pas! Laissez-moi plutôt vous remettre votre bandage et allongez-vous un instant.
- Rappelez-vous, Maman, que je suis infirmière et possède quelques connaissances. Je n'abîmerai pas mes yeux du tout, mais j'irai faire cette petite promenade, Maman, sinon je crois que je vais mourir ! Je connais le chemin les yeux bandés, aussi n'aurais-je besoin de regarder que très peu.
- Où voulez-vous aller?
- Seulement jusqu'au vieux pin sur la crête, et je reviendrai aussitôt. Je connais le chemin dans l'obscurité. J'irai seule toucher le vieil arbre, je serai tellement heureuse!
- Bien, très bien, mais n'allez pas plus loin, où je vous rejoindrai. Surtout n'essayez pas d'ouvrir les yeux, ils sont trop faibles encore.
Le soleil brillait au-dessus de la petite maison où avait lieu cette conversation, imprégnant la campagne riante de toute sa gloire estivale. Ses rayons, jouant à travers les arbres, faisaient des taches d'or sur le sol, et communiquaient aux maisons un relief aussi pittoresque qu'inattendu. Et par dessus tout le grand pin dressait sa fière tête plusieurs fois centenaire se détachant sur le fond des masses boisées.
Une jeune fille sortit d'une maison, se dirigea vers cet arbre; elle portait sur la tête un chapeau de soleil un peu désuet, mais préservant son visage de l'intense clarté environnante. Elle marchait lentement, un peu hésitante, une main tendue, se hasardant à la manière d'une personne de déplaçant dans la nuit.
Il y avait une allée nettement tracée qui conduisait au grand arbre, car elle servait aussi de raccourci jusqu'au village; elle était utilisée par ceux qui préférait marcher à travers la fraîcheur des bois plutôt que sur la route carrossable, légèrement plus longue.
La jeune fille suivait sans crainte ce chemin familier. Elle était née et av