PAGE 94

CHAPITRE 13 - L'ANNEAU DU NIEBELUNG - La renaissance et l'eau du Léthé

"La naissance n'est qu'un sommeil et qu'un oubli, Et l'âme qui se lève avec nous, cette étoile De notre vie, s'était couchée ailleurs qu'ici, Et revient de loin au-delà du voile." (Wordsworth)

Lorsque Siegfried quitte le rocher de la Valkyrie et arrive à la cour terrestre de Gunther, un breuvage lui est versé, dosé pour lui faire oublier tout son passé, et aussi Brunhilde, l'esprit de vérité qu'il avait conquise.

On suppose généralement que la doctrine de la renaissance est uniquement enseignée par les anciennes religions d'Orient, mais l'étude de la mythologie scandinave détruit cette erreur. Ils croyaient effectivement à la renaissance et à la Loi de Cause à Effet appliquée à la conduite morale, jusqu'au moment où le Christianisme obscurcit ces doctrines pour les raisons indiquées dans la "Cosmogonie des Rose-Croix". La confusion fut grande quand l'ancienne religion de Wotan fut remplacée par le Christianisme. Au fond de leurs coeurs, les hommes croyaient à la renaissance mais la répudiaient extérieurement, ainsi qu'en témoigne l'histoire suivante sur Saint Olaf, roi de Norvège, l'un des

PAGE 95

premiers et des plus zélés convertis au Christianisme. Alors qu'Asta, la femme du roi Harold, était en travail d'enfantement sans parvenir à accoucher, un homme vint à la cour, porteur de bijoux dont il expliqua ainsi la provenance: un ancêtre d'Harold, le roi Olaf Geirstad, qui régnait autrefois en Norvège et était l'ancêtre direct de Harold, lui était apparu en songe, lui ordonnant d'ouvrir le grand tumulus où reposait son corps, de faire sauter le couvercle du cercueil avec son épée, d'y prendre certains bijoux qu'il y trouverait et de les donner à la reine, dont les douleurs cesseraient aussitôt. Les bijoux furent apportés dans la chambre de la reine, et peu après, elle mit au monde un garçon. Il fut nommé Olaf. Tous croyaient que l'Esprit d'Olaf Geirstad était entré dans le corps de l'enfant auquel on avait donné son nom.

Plusieurs années après, Olaf, devenu roi de Norvège et ayant embrassé la religion Chrétienne, chevauchait à son accoutumée et passait devant le tumulus où reposait son ancêtre; un courtisan de sa suite lui demanda: "Est-il vrai, Altesse, qu'un jour vous gisiez sous ce tumulus?" "Jamais, répliqua le roi, mon Esprit n'habita en deux corps." "Pourtant l'on rapporte qu'un jour, en passant devant ce monument, vous auriez dit: ici je fus, ici je vécus." "Je ne l'ai pas dit, rétorqua le roi, et ne le dirai jamais."

Il était très contrarié et s'éloigna hâtivement, sans doute pour éviter de discuter une conviction intime que tous les dogmes de la nouvelle foi ne pouvait effacer.

En fait, la seconde vue étant alors bien plus répandue, tous les peuples anciens d'Orient ou d'Occident possédaient sur la naissance et la mort des

PAGE 96

connaissances à présent oubliées. Aujourd'hui encore, de nombreux paysans norvégiens affirment voir l'Esprit, semblable à un étroit nuage blanc, quitter le corps des mourants. Il s'agit naturellement du corps vital, et, les enseignements Rosicruciens qui nous apprennent que les décédés errent un certain temps autour de leur demeure terrestre, après leur mort, qu'ils revêtent un corps lumineux et s'affligent douloureusement de la peine de ceux qu'ils chérissent, étaient une connaissance généralisée chez les anciens scandinaves. Lorsqu'après sa mort, le roi de Danemark se matérialisa pour apaiser le chagrin de sa veuve et qu'elle s'écria angoissée: "la rosée de mort a baigné son corps de guerrier", il répondit

"A cause de toi seule, Sigruna, La rosée de douleur baigne Helge. Tu ne veux abandonner ta douleur Ni sécher tes larmes amères; Chacune d'elles, sanglante, Tombe, glacée, sur ma poitrine. Ne me laissant aucun repos."

Quand nos étudiants comprennent le fait de la renaissance, ils se demandent généralement pourquoi le souvenir des vies antérieures est effacé. Un désir irrésistible de connaître le passé anime beaucoup d'entre eux. Ils ne comprennent pas quel avantage procure l'eau du Léthé, dispensatrice d'oubli, et considèrent avec envie les personnes qui prétendent connaître leurs existences passées, disant qu'elles ont été rois, reines, philosophes, prêtres, etc. Cependant, une raison bénéfique commande cet oubli, car aucune action dans la vie ne présente de valeur, sauf par l'impression qu'elle laisse en passant par l'expérience post mortem du purgatoire et du ciel. Cette empreinte agit alors de telle sorte qu'elle dirige au moment voulu, avertit ou pousse à un certain genre d'action; et cet avertissement, bien que dissocié de

PAGE 97

l'expérience, ou plutôt parce qu'il est dissocié de l'expérience dont il est extrait, agit avec une rapidité plus grande que celle de la pensée.

Pour que ce point soit clairement saisi, comparons cette empreinte gravée sur nos véhicules subtils à un disque de gramophone qui, en tournant, ferait vibrer à chaque note émise toute une batterie de diapasons placés à proximité. A première vue, il ne semble y avoir aucune raison pour qu'à un certain sillon du disque corresponde la note d'un son donné et que, lorsque l'aiguille passe sur cet endroit, un son déterminé soit produit qui fait vibrer le diapason. Mais, que nous comprenions ou non la démonstration, elle prouve qu'un lien de tonalité existe entre ce petit sillon et le diapason. Ce fait ne dépend aucunement de nos connaissances concernant la façon dont l'impression est enregistrée sur le disque, ou la raison pour laquelle le diapason répond à cette vibration. Le phénomène existe, que nous connaissions ou non tous les faits s'y rapportant. D'une façon similaire, quand nous avons vécu une certaine expérience joyeuse ou triste, elle se condense dans l'état d'après- vie, gravant sur notre âme l'impression d'une mise en garde si l'expérience est purgatorielle, ou d'un encouragement si elle est céleste. Et dans une existence postérieure, quand une expérience similaire à celle qui a causé les vibrations se présentera, les vibrations seront ressenties par l'âme, elles éveilleront dans l'enregistrement de la vie passée la tonalité de peine ou de plaisir bien plus rapidement et avec une précision plus grande que si l'expérience elle-même surgissait devant les yeux de notre esprit. Car même à présent, tandis que le voile de chair nous gêne, nous ne pourrions voir la situation sous son jour véritable. Mais le fruit de l'expérience récolté dans le ciel ou le purgatoire nous conseille sans erreur et nous apprend si nous pouvons imiter nos actions passées ou en éviter la répétition.

PAGE 98

Supposons en outre que nous ayons vraiment connaissance de nos vies précédentes, et que nous ayons acquis cette faculté par nos efforts actuels pour vivre noblement et dignement. Supposons que nous ayons vécu antérieurement dans la débauche, la cruauté, le crime et l'égoïsme. Si quelqu'un nous méprisait aujourd'hui à cause de ces actes, nous soutiendrions que nous ne devrions pas être jugés d'après ce passé, et qu'on aurait tort de nous repousser. Nous affirmerions avec raison que notre vie présente d'efforts respectables devrait servir de base au jugement, à l'exclusion des conditions antérieures. Mais alors, pour la même raison, pourquoi prétendrions-nous aux honneurs de l'adulation et de l'admiration pour avoir été rois ou reines dans une vie antérieure? En admettant même que ce soit exact, pourquoi s'exposer à être ridiculisé par les sceptiques en relatant de tels faits? Donc, il est préférable de concentrer nos efforts sur les plus hautes possibilités d'aujourd'hui, que nous ayons ou non le souvenir de nos vies passées.

Il est certain que toute personne capable de faire des recherches dans la Mémoire de la Nature, et qui le fait dans l'intérêt d'investigations en rapport avec l'évolution et l'avancement de l'humanité, rencontrera un jour des vestiges de son passé. Mais un véritable serviteur qui sait travailler dans la vigne du Christ ne se permettra jamais de s'écarter du sentier du service pour suivre celui de la curiosité. Le Disciple qui reçoit les enseignements des Frères Aînés est averti dès la première Initiation de ne jamais employer son pouvoir pour la satisfaction de la curiosité, et à chaque visite suivante au Temple, cette idée lui est répétée. La distinction entre l'usage légitime et illégitime des pouvoirs spirituels est si fine et si subtile, et lorsque nous avançons dans la spiritualité, les restrictions auxquelles chacun semble assujetti se multiplient tellement, que si la chose

PAGE 99

était contée, neuf personnes sur dix diraient: "A quoi bon posséder la vue spirituelle ou être capable de quitter son corps? En présence de tant de restrictions, il semble que les possibilités de transgression sont multipliées à un point tel, qu'il est presque inutile de posséder ces facultés". Elles sont néanmoins d'une grande valeur, et la responsabilité n'est que le résultat d'une croissance accrue.

Un animal prend librement tout ce qu'il désire. Il ne commet pas de péchés et n'est pas tenu responsable de ses actes, parce qu'il ne connaît rien de mieux. La responsabilité commence dès que l'idée du tien et du mien est imprimée sur la conscience. Plus notre savoir est grand, plus s'accroît la responsabilité;