TANNHÄUSER

 

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CHAPITRE 15 - TANNHÄUSER - L'alternance de la joie et de la douleur

Dans ce drame, il s'agit une fois de plus d'une ancienne légende. Elle a été donnée à l'humanité par les Hiérarchies divines qui l'ont guidée le long du sentier du progrès par des formules imagées, afin qu'elle absorbe subconsciemment les idéaux pour lesquels, en des vies futures, elle devait lutter.

Dans l'ancien temps, l'amour était brutal; l'homme achetait l'épouse, la volait ou la prenait comme butin de guerre. Il ne désirait que la possession du corps , de sorte que la femme était un objet prisé par son maître pour le plaisir qu'elle lui procurait, et pour rien d'autre. Aucune chance de s'exprimer n'était laissée aux plus hautes et plus fines qualités de sa nature. Il était nécessaire de changer cet état de choses, faute de quoi les progrès de l'humanité auraient cessé. Le fruit ne tombe pas loin de l'arbre. Quiconque naît d'une union brutale est brutal aussi; et pour que l'humanité puisse s'élever, il fallait également élever le niveau de l'amour; Tannhäuser est un effort dans cette direction.

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Cette légende s'appelle aussi "Le Tournoi des Troubadours", car les ménestrels d'Europe étaient les éducateurs du Moyen Age; ils étaient des chevaliers errants, doués pour le chant et la parole, voyageant par monts et par vaux, bienvenus et honorés à la cour et dans les châteaux.

Leur influence était puissante dans la formation des idées et des idéaux du temps. Au tournoi de chant qui avait lieu au Château de Wartburg, l'un des sujets était le suivant: la femme a-t-elle ou non un droit sur son propre corps, droit de protection contre les excès licencieux de l'époux et doit-elle être considérée comme une compagne aimée d'âme à âme ou comme une esclave réduite à se soumettre aux ordres de son maître? C'était la question débattue.

Naturellement, il y a toujours à chaque changement ceux qui se déclarent pour les vieilles coutumes contre les nouvelles. Les champions des deux causes prenaient part à cette compétition de chants au Château de Wartburg.

La question est toujours d'actualité. Elle n'est pas encore résolue pour la majorité de l'humanité, mais le principe énoncé est vrai: une race meilleure ne peut naître que si l'on s'y conforme en élevant le niveau de l'amour. Ceci est particulièrement essentiel, surtout pour celui qui aspire à la vie supérieure. Bien que le principe paraisse évident en soi, il n'est même pas encore accepté par tous ceux qui se disent animés d'un grand idéal. Avec le temps, chacun apprendra que l'humanité ne peut vraiment s'élever qu'en considérant la femme comme l'égale de l'homme, car sous la Loi de renaissance, l'âme renaît alternativement dans les deux sexes, et les oppresseurs d'un âge deviennent les opprimés du suivant.

L'erreur d'un double mode de conduite favorisant un sexe aux dépens de l'autre devrait apparaître à quiconque croit aux vies successives par lesquelles l'âme

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progresse de l'impotence à l'omnipotence. Il a été amplement prouvé que, loin d'être inférieure à l'homme, la femme l'égale pour le moins, et lui est très souvent supérieure dans de nombreuses occupations mentales, bien que ceci n'apparaisse pas clairement dans le drame.

La légende nous dit que Tannhäuser, qui représente l'âme à un certain degré de développement, a été déçu en amour parce l'objet de son amour, Elisabeth, est trop pure et trop jeune pour qu'il puisse seulement se déclarer et lui demander de s'abandonner à lui. Dévoré de désir passionné, il attire des conditions de même nature.

Nos pensées sont comparables à des diapasons qui éveillent des échos chez ceux qui sont capables d'y répondre. Les pensées passionnées de Tannhäuser le conduisent donc à ce que l'on nomme "la Montagne de Vénus".

L'histoire raconte comment il découvre la Montagne de Vénus, comment son aimable hôtesse l'y attire et le retient par ses charmes dans les liens de la passion; ce conte, comme le "Songe d'une nuit d'été" de Shakespeare, n'est pas entièrement basé sur l'imagination. Il y a des Esprits dans l'air, l'eau et le feu et, sous certaines conditions, l'homme peut entrer en contact avec eux. Peut-être pas tellement dans l'atmosphère électrique de l'Amérique, mais en Europe, et particulièrement dans le nord, s'étend une atmosphère mystique, laquelle a quelque peu rendu les gens capables de discerner ces élémentaux. La déesse de beauté, ou Vénus, dont il est question, est réellement une de ces entités éthériques qui se nourrissent des émanations des désirs inférieurs dont l'assouvissement provoque une grande dépense de force créatrice. De nombreux esprits-contrôles, qui s'emparent des médiums, les incitent aux excès, à un relâchement de moralité, agissant soi-disant pour le bien de leur âme et affaiblissant sérieusement leurs victimes, appartiennent à cette classe

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excessivement dangereuse. Paracelse les mentionne sous l'appellation d'"incubes" et de "succubes".

Le premier acte de Tannhäuser nous montre une scène de licencieuse débauche dans la grotte de Vénus. Tannhäuser est agenouillé devant la déesse qui repose allongée sur une couche. Il s'éveille comme d'un songe. Son rêve lui a inculqué le désir de revoir la terre, il le dit à la déesse qui répond:

"Quelle sotte plainte! As-tu oublié Combien naguère tu avais souffert? Debout! prends ta harpe, chante Aphrodite, Déesse de l'amour et du ravissement!"

Enflammé d'ardeur nouvelle, Tannhäuser saisit sa harpe et chante son éloge:

"Louange à toi! Tu accomplis des miracles; Que j'aime la douceur de tes embrassements, Les cris de joie que tes plaisirs m'arrachent! Mon coeur a soif de jouissance; Tout mon être se porte intensément vers toi. Ce qui est pour les dieux, tu me l'as fait connaître, Ce don de toi, cette félicité sans nom. Mais hélas! je ne suis qu'un mortel, Et ton amour est trop surhumain pour moi Qui ai besoin du changement. A force de plaisirs, j'aspire à la souffrance. O Reine, ô déesse, laisse-moi partir!"

Lorsque l'humanité émergea de l'Atlantide et entra dans l'air d'Aryana, un arc-en-ciel brilla pour la première fois dans le firmament comme le signe de la nouvelle époque. En ce temps, il fut dit que tant que cet arc serait dans les nuages, les saisons ne cesseraient pas de changer; jour et nuit, été et hiver, flux et reflux et tous les autres phénomènes alternants de la Nature se suivraient en une succession ininterrompue (Genèse 9:13; 8:22). En musique, l'harmonie ne peut pas toujours durer. La dissonance intervient par moments pour mettre en valeur la mélodie. Il en est ainsi de la souffrance et de la

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douleur, de la joie et du bonheur, phénomènes également alternants . Nous ne pouvons pas vivre dans un état sans désirer l'autre, pas plus que nous ne pouvons rester au ciel et passer par des expériences que la Terre est seule à permettre. Et c'est justement cette poussée intérieure, cette alternance de la joie à la douleur et inversement, qui pousse Tannhäuser à quitter la grotte de Vénus, afin de pouvoir de nouveau connaître dans le monde l'effort et la lutte. Il acquerra ainsi de nouvelles expériences que seule l'affliction pourra lui donner et oubliera les plaisirs qui ne lui apportent aucun pouvoir de l'âme. Mais c'est une des caractéristiques des forces inférieures que de toujours chercher à influencer une âme contre son gré, de s'efforcer par tous les moyens de la détourner du droit chemin. Ainsi Vénus, qui représente ces pouvoirs dans le drame de Tannhäuser, l'avertit et le dissuade.

"Je te vois déjà revenir vers moi Dans l'humiliation de ton âme rebelle, Foulé aux pieds, contrit, me suppliant De te faire jouir de mes enchantements."

Mais Tannhäuser est ferme en sa décision. Son incitation intérieure est si forte que rien ne peut l'arrêter. Bien qu'il soit encore sous le charme, il s'exclame avec ferveur:

"Tant que je vivrai, mon chant sera pour toi; D'aucun sujet moins beau il ne s'inspirera. Source de beauté et d'aimable grâce, avec tes plus doux chants, tu attises Le feu qui dévore mon coeur. Puisse sa flamme briller pour toi seule! Bien qu'avec chagrin je m'éloigne de toi, Je ne cesserai pas d'être ton partisan, Mais je dois m'éloigner et fuir ton esclavage, Connaître le monde et vivre de sa vie. J'ai soif de liberté, en dussè-je mourir; O Reine, ô déesse, laisse-moi partir!"

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Ainsi, lorsque Tannhäuser quitte la grotte de Vénus, il s'est engagé à soutenir la cause du côté vil et sensuel de l'amour. Il retourne dans le monde pour l'enseigner, car telle est la nature humaine: tout ce que le coeur éprouve doit s'exprimer.

Connaissant bien la région, il dirige ses pas vers le Château de Wartburg où de nombreux troubadours séjournent avec le seigneur et la dame du manoir qui sont des sortes de mécènes, toujours désireux d'entendre leurs productions et leur font de généreux dons.

Il rencontre un groupe de troubadours qui se promènent dans les bois, et ceux- ci, ses amis d'autrefois, surpris de le revoir après si longtemps, lui demandent d'où il vient. Sachant qu'un sentiment général réprouve le commerce avec les forces élémentales inférieures de la nature, Tannhäuser s'abstient de préciser où il séjournait et leur répond évasivement. Les ménestrels lui apprennent alors qu'un grand tournoi de troubadours a lieu au château et l'invitent à y prendre part.

Apprenant que le sujet du débat choral sera l'amour et que le prix sera offert au gagnant par les mains de la ravissante fille du seigneur, Elisabeth, (la dame que Tannhäuser avait si ardemment aimée et qui avait enflammé son âme dans le passé, à tel point que cet amour l'avait conduit dans la grotte de Vénus) il espère, par l'ardeur qui l'inspire, persuader la jeune fille d'écouter sa requête. Comme nous récoltons toujours une moisson de souffrance lorsque nous agissons contrairement aux lois du progrès, Tannhäuser sème par cet acte la graine qui lui donnera un jour la récolte de douleur qu'il souhaitait dans la grotte de Vénus.

 

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