LA LÉGENDE MAÇONNIQUE

par Max Heindel

Correspondant au chapitre 2 du livre "Franc-Maçonnerie et Catholicisme"

 

Tout mouvement mystique a sa légende qui énonce en langage symbolique sa position dans l'ordre cosmique et l'idéal qu'il s'efforce d'atteindre. L'Ancien Testament qui comprend l'enseignement des Mystères Atlantéens nous apprend que l'humanité a été créée bissexuée, masculine et féminine, et que chaque unité était capable de perpétuer l'espèce sans la coopération d'autrui, comme c'est le cas pour quelques plantes aujourd'hui. Ensuite, nous dit-on, Jéhovah retira l'un des pôles de la force créatrice d'Adam, l'humanité primitive, et depuis lors il y a deux sexes. L'enseignement ésotérique complète cette information en révélant que le but de ce changement était d'utiliser l'un des pôles de la force créatrice pour construire un cerveau et un larynx au moyen desquels l'humanité puisse acquérir la connaissance et s'exprimer par la parole. Un examen même superficiel des faits rend évidente à chacun la relation étroite qui existe entre les organes génitaux, le cerveau et le larynx. La voix des garçons changeant à la puberté, la déficience mentale résultant

d'un laisser-aller de la nature passionnelle, le langage inarticulé de l'être mentalement déficient, et nombre d'autres faits confirment cette relation.

D'après la Bible, il avait été défendu à nos premiers parents de manger du fruit de l'Arbre de la connaissance, mais Eve, séduite par le serpent, en avait mangé, et ensuite persuadé Adam de suivre son exemple. Ce que sont les serpents et l'Arbre de la connaissance peut être déterminé d'après certains passages de la Bible. On nous dit, par exemple que le Christ exhortait ses disciples à être "sages comme des serpents et inoffensifs comme des colombes" (Matthieu 10:16). La prétendue malédiction prononcée contre Eve après son aveu affirme qu'elle devra enfanter dans la douleur et la souffrance et que sa postérité mourra. Les commentateurs de la Bible ont toujours eu des difficultés à trouver le lien qui existe entre l'action de manger une pomme, la mort et la parturition douloureuse; mais quand nous sommes familiarisés avec les expressions chastes de la Bible qui désignent l'acte créateur par des passages tels que "Adam connut Eve et elle engendra Caïn" (Genèse 4:1); "Adam connut Eve et elle engendra Abel" ; "Comment pourrais-je engendrer un enfant, puisque je ne connais pas d'homme?" (Luc 1:34), etc., il est évident que l'Arbre de la connaissance est une expression symbolique pour désigner l'acte créateur. Ainsi, il est clair que les serpents avaient instruit Eve au sujet de l'acte créateur, et qu'à son tour, Eve l'avait enseigné à Adam. Ainsi donc, le Christ désignait les serpents comme dangereux, tout en admettant leur sagesse. Pour connaître l'identité du serpent, il est nécessaire de recourir à l'enseignement ésotérique qui le désigne comme symbolisant les Esprits Lucifer de Mars, gouverneurs du signe serpentin du Scorpion. Leurs initiés, même à une époque aussi ancienne que la Dynastie Egyptienne, portaient sur le front l'Uraeus, ou symbole du serpent, comme signe de la source de leur sagesse.

Comme conséquence de l'usage interdit de la force créatrice, l'humanité cessa d'être éthérique et se

cristallisa en un vêtement de peau ou corps physique, ce qui, maintenant, lui cache les Dieux qui habitent les royaumes invisibles; et grande a été l'affliction qu'elle a éprouvée de cette perte.

A l'origine, la génération a été instituée par les Anges sous Jéhovah. Elle était accomplie dans de grands temples sous des conditions planétaires favorables, et l'enfantement était sans souffrances, comme il l'est aujourd'hui pour les animaux sauvages où l'abus de la fonction créatrice pour le plaisir des sens n'existe pas.

La dégénérescence est résultée de l'abus ignorant et illicite inspiré par les Esprits Lucifer.

La régénération doit être entreprise afin que l'homme retrouve la condition d'être spirituel qu'il a perdue et pour le libérer de ce corps mortel dans lequel il est actuellement emprisonné. La mort doit s'envoler dans l'Immortalité.

Pour atteindre ce but, une alliance a été conclue avec l'humanité lors de son expulsion du jardin de Dieu pour errer dans le désert du monde. A la suite de ce plan, un Tabernacle a été construit d'après un modèle établi par Jéhovah, et une arche symbolisant l'esprit humain y a été placée. Les barres de cette arche n'étaient jamais retirées, ceci pour indiquer que l'homme est un pèlerin sur terre qui ne doit jamais se reposer jusqu'à ce qu'il ait atteint le but. A l'intérieur de l'arche se trouvait un vase en or contenant la manne (ou homme) tombée du ciel, ainsi qu'une table des lois divines que l'homme doit apprendre durant son pèlerinage à travers le désert de la matière. Cette arche symbolique contenait aussi une baguette magique, emblème des pouvoirs spirituels, nommée "verge d'Aaron". Ces pouvoirs spirituels sont latents en chacun pendant sa route vers le havre de repos, ou temple mystique de Salomon. L'Ancien Testament nous

dit aussi comment l'humanité a été miraculeusement conduite et pourvue; comment, après sa lutte avec le monde, la paix et la prospérité lui ont été données par le roi Salomon. En résumé, si on la dépouille de ses enjolivures, la Bible raconte l'histoire de la descente de l'homme chassé du ciel sur la terre, ses principales métamorphoses, la transgression des lois du Dieu Jéhovah, la manière dont l'homme avait été conduit dans le passé et comment Jéhovah désirait le guider à l'avenir pour qu'il atteigne le Royaume des Cieux, le pays de paix, et suive à nouveau docilement la conduite du Guide Divin.

La légende maçonnique a des points de concordance et aussi de divergence avec l'histoire de la Bible. Elle affirme que Jéhovah créa Eve, que l'Esprit Lucifer Samaël s'unit à elle, mais qu'il fut chassé par Jéhovah et forcé de l'abandonner avant la naissance de son fils Caïn, qui fut ainsi le fils de la veuve. Alors, Jéhovah créa Adam pour être le mari d'Eve, et de leur union naquit Abel. Ainsi, depuis le commencement, il y a eu deux races d'hommes dans le monde. L'une, engendrée par l'Esprit Lucifer Samaël et participant d'une nature semi-divine, douée d'une énergie dynamique martienne héritée de son atavisme divin, est entreprenante, progressive, possède une grande initiative, mais est impatiente à l'égard de la contrainte ou de l'autorité, que celle-ci soit humaine ou divine. Cette classe d'hommes répugne à accepter les faits par la foi et préfère les soumettre à la lumière de la raison. Elle croit dans les ouvres plus que dans la foi, et par son courage intrépide, par son énergie inépuisable, elle a transformé les déserts du monde en un jardin plein de vie et de beauté si plaisant, en fait, que les Fils de Caïn ont oublié le jardin de Dieu, le Royaume des Cieux d'où ils avaient été chassés par le décret du Dieu Lunaire, Jéhovah. Ces hommes sont en constante rébellion contre Jéhovah car Il les a enchaînés par le "câble" ombilical. Ils ont perdu leur vision spirituelle et sont prisonniers du corps, au niveau du front, sur lequel on dit que Caïn fut marqué; ils doivent errer comme des

enfants prodigues dans l'obscurité relative du monde matériel, oublier leur haute et noble condition jusqu'à ce qu'ils trouvent la porte du temple, et demandent et reçoivent la Lumière. Alors, comme "phree messen" ou enfants de la lumière, ils apprennent à construire un nouveau temple, sans bruit de marteau, et lorsqu'ils ont appris cela, ils peuvent "voyager dans les pays étrangers" pour se perfectionner dans leur métier. En d'autres termes, lorsque l'esprit se rend compte qu'il est loin de son domaine céleste, qu'il est un fils prodigue se nourrissant des écorces insuffisantes du monde matériel et que, séparé du Père, il est "pauvre, nu et aveugle", s'il frappe à la porte d'un temple mystique, comme celui des Rosicruciens et demande la lumière, il reçoit l'instruction désirée après s'être qualifié en construisant un corps de l'âme éthérique, temple ou maison éternelle dans les cieux, temple qui n'est pas fait de main d'homme, et sans bruit de marteau; une fois que sa nudité est revêtue de ce vêtement (2 Corinthiens 5:1-4) alors le néophyte reçoit "le verbe", le sésame, ouvre-toi" des mondes intérieurs et il apprend à voyager dans les mondes invisibles. Là, les vols de l'âme se font dans les régions célestes et il se qualifie pour des degrés supérieurs grâce à l'instruction donnée plus directement par le "Grand Architecte de l'Univers" qui a façonné les cieux et la terre.

Tel est le tempérament des fils de la veuve, qu'ils ont hérité de leur divin aïeul Samaël qui l'a donné à leur ancêtre Caïn. Leur histoire passée est un combat contre les conditions adverses, leur exploit est la victoire arrachée à toutes les forces contraires par leur courage indomptable et leur effort persistant, jamais freiné par leurs défaites temporaires.

Mais tandis que Caïn, gouverné par l'ambition divine, travaillait et labourait le sol pour faire pousser deux brins d'herbe là où il n'y en avait qu'un, Abel, descendant humain de parents humains, ne sentait ni hâte,

ni agitation en tant que créature de Jéhovah par Adam et Eve; il était parfaitement satisfait de garder ses troupeaux, créés eux aussi par Dieu, et d'accepter une existence exempte de travail et d'initiative, grâce à leur multiplication par la faveur divine. Cette attitude docile plaisait beaucoup à Jéhovah, extrêmement jaloux de Ses prérogatives de Créateur. Il a donc accepté avec plaisir les offrandes d'Abel, obtenues sans effort ni initiative, mais dédaigna celles de Caïn parce qu'elles provenaient du divin instinct créateur qui était semblable au sien. Alors, Caïn tua Abel, mais il n'extermina pas ainsi les créatures dociles de Jéhovah, car on nous dit que Adam connut encore Eve, et elle engendra Seth. Ce dernier avait les mêmes caractéristiques qu'Abel, et il les a transmises à ses descendants qui, aujourd'hui encore, continuent à se fier au Seigneur pour toutes choses et qui "vivent par la foi et non par les ouvres". Par une pénible et énergique application à l'ouvre du monde, les Fils de Caïn ont appris la sagesse du monde et acquis le pouvoir temporel. Ils ont été des capitaines d'industrie et des maîtres en politique, tandis que les Fils de Seth, regardant vers le Seigneur pour se guider, sont devenus le canal de la sagesse divine et spirituelle; ils constituent le clergé. L'animosité de Caïn et d'Abel s'est perpétuée de génération en génération chez leurs descendants respectifs. Il ne pouvait en être autrement, puisque cette classe, en tant que gouvernement temporel vise à élever l'humanité vers le bien-être physique par la conquête du monde matériel, tandis que la prêtrise, dans son rôle de guide spirituel, pousse ses adhérents à abandonner le monde pervers, la vallée de larmes, et à s'en remettre à Dieu pour son soutien. La première école tend à former des maîtres artisans, habiles dans l'usage des

outils avec lesquels ils peuvent arracher à la terre leurs moyens d'existence depuis qu'elle a été maudite par leur adversaire divin, Jéhovah. La deuxième produit des maîtres magiciens, habiles dans l'emploi de la parole pour les invocations et qui, par cet emploi, obtiennent des travailleurs une aide ici-bas et s'assurent ensuite, par la prière pour eux et pour leurs fidèles, l'entrée au ciel.

Au sujet de l'avenir réservé aux Fils de Caïn et à leurs partisans, la légende du temple est aussi très éloquente. Elle dit que Caïn eut pour descendants Mathusalem, inventeur de l'écriture; Tubal Caïn, habile à travailler les métaux, et Jubal, inventeur de la musique. Bref, les Fils de Caïn sont les auteurs des arts et des métiers. En conséquence, quand Jéhovah choisit Salomon, le rejeton de la race de Seth, pour construire une demeure en l'honneur de son nom, la sublime spiritualité d'une longue lignée d'ancêtres, divinement guidés, s'épanouit dans la conception du temple magnifique appelé temple de Salomon, bien que Salomon ait été simplement l'instrument chargé d'exécuter le plan divin révélé par Jéhovah à David. Mais Salomon était incapable de réaliser en forme concrète le dessein divin. En conséquence, il s'est vu obligé de s'adresser au Roi Hiram de Tyr, le descendant de Caïn, qui choisit Hiram Abiff, le fils de la veuve (nom que portent tous les Francs-Maçons en raison des relations de leur ancêtre divin avec Eve). Hiram Abiff est donc devenu le Grand Maître d'une armée de constructeurs. En lui, les arts et les métiers de tous les Fils de Caïn qui avaient vécu jusqu'alors avaient atteint leur pleine floraison. Il était plus habile que tous les autres dans le travail matériel sans lequel le plan de Jéhovah serait toujours demeuré un rêve divin, sans réalité concrète. La perspicacité terrestre des Fils de Caïn était aussi nécessaire à la réalisation du temple que la conception spirituelle des Fils de Seth, et par suite, pendant la période de construction, les deux classes avaient réuni

leurs forces, l'inimitié latente demeurant cachée sous une apparence d'amitié superficielle. Ce fut en vérité la première tentative pour les unir, et si cette union avait pu se réaliser, l'histoire du monde aurait, dès lors, été modifiée d'une manière très importante.

Les Fils de Caïn, descendants des ardents Esprits Lucifer, étaient naturellement habiles dans l'emploi du feu. Grâce à lui, les métaux amassés par Salomon et ses ancêtres ont pu être transformés en autels, bassin vases de diverses sortes. Des colonnes ont été façonnées sous la direction d'Hiram Abiff, ainsi que des arceaux destinés à être placés dessus. Le grand édifice était presque achevé lorsque Hiram Abiff se prépara à couler la "mer de fonte", son chef d'ouvre, le couronnement de ses efforts. Ce fut dans l'exécution de ce Grand ouvre, que la trahison des Fils de Seth devint manifeste et fit échouer le plan divin de réconciliation. Ils tentèrent d'éteindre le feu employé par Hiram Abiff au moyen de l'eau, leur arme naturelle, et ils y réussirent presque. Les incidents qui ont abouti à cette catastrophe, leur signification et leurs conséquences, seront examinés dans la leçon suivante.