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Chapitre 17 - AU-DELA DE LA VIE
"Il y a plus de choses dans le ciel et sur terre
Que notre philosophie ne le pense, Horatio"
Shakespeare (Hamlet)
Le prisonnier était assis dans le jardin délabré d'un ancien monastère, un grand jardin clos où les herbes sauvages commençaient à l'emporter sur le fleurs, car la guerre avait chassé les habitants de ces lieux, et les soldats qui en avaient fait leur cantonnement avaient autre chose à faire que de s'occuper des fleurs.
Il n'était pas l'un d'entre eux; il était un espion tombé entre leurs mains. Capturé avec d'importants documents, il avait été condamné à mort, et il attendait le moment où le peloton d'exécution mettrait fin à son existence.
Mais serait-ce la fin de tout? Quelle stupide question! Sans doute lui avait-on fait croire, dans son enfance, à un au-delà, mais ses études universitaires lui avaient inculqué la véritable science, et cette science avait démontré la fausseté de certaines notions bibliques.
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Dans la salle de dissection, les fonctions des différents organes avaient été étudiées; les réactions chimiques et le métabolisme expliquaient les activités de l'organisme. La psychologie montrait comment s'élaborait la pensée; bref, l'homme n'était qu'une machine capable de se mouvoir et de réfléchir, une machine qui pouvait même reproduire son espèce et procréer des enfants, capables de perpétuer la race humaine lorsque l'usure des aïeux les rendrait bons à mettre au rebut de la tombe. Rois ou sujets, savants ou ignorants, tous n'étaient que des ombres sur l'écran du temps.
Mais d'une manière ou d'une autre, il n'en était plus aussi certain, depuis que la guerre l'avait mis face à face avec la mort généralisée. Il avait vu mourir des centaines de personnes sur le front, dans les tranchées et les hôpitaux de campagne, et il avait vu tant de mourants convaincus de leur survie que cela l'avait impressionné. Certains de ses camarades assuraient avoir aperçu des "Anges", soit sur le champ de bataille, soit au moment de mourir. Allons donc! c'étaient des hallucinations dues à la tension du moment. Et pourtant, il avait entendu tellement de témoignages de ce genre, tels que ceux du lieutenant K. et du capitaine Y., tous deux bien équilibrés et qui n'avaient pas froids aux yeux... et il avait noté que depuis ce certain jour sur la Marne, le capitaine n'avait plus jamais juré; il possédait même une Bible et, une fois, il avait sermonné un sergent connu pour ses blasphèmes.
Mais, après tout, il allait bientôt être renseigné, puisqu'à cinq heures il devait être exécuté. En attendant, il prit la décision de retourner dans la cellule du cloître qui lui avait été assignée; ce qu'il fit, accompagné par la sentinelle qui le gardait à vue et qui l'observait tandis qu'il s'étendait sur sa paillasse.
Au-dessus de lui se trouvait une reproduction du fameux tableau de Léonard de Vinci, "La dernière Cène". Il ne s'était jamais beaucoup intéressé à l'art, mais à cet instant il se sentait comme attiré vers le Christ, un être qui était certainement des plus nobles, supplicié pour la cause qu'il défendait.
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Cette "dernière Cène" n'avait-elle pas quelque analogie avec son propre cas, puisque, lui aussi, avait pris son repas pour la dernière fois?
A ce moment lui revint en mémoire une anecdote concernant l'auteur de ce tableau. Léonard de Vinci avait demandé à un ami son opinion sur le tableau qu'il venait de terminer, et cet ami avait critiqué le luxe des gobelets des apôtres. De Vinci les avait aussitôt corrigés, mais avec un gros soupir, car il avait mis tout son coeur et son âme dans le portrait du Sauveur, dans l'espoir que son glorieux visage attirerait l'attention de ceux qui le verraient, de manière à éclipser tout le reste. Au lieu de cela, c'était un détail sans importance qui avait attiré l'attention de son ami, lequel semblait ne pas avoir remarqué la face du Christ.
"Serait-ce aussi mon cas?", se demandait le condamné. "Aurais-je aussi fixé mes yeux sur les détails sans importance de la vie? J'ai trop souvent vu la mort de près pour m'en effrayer maintenant que mon tour est venu, mais il y a tant à faire en ce monde que l'on n'aime pas penser à tomber dans l'éternel oubli.
"Le Christ a dit: "Une seule chose est nécessaire", et s'il était dans le vrai, j'ai agi comme l'ami du peintre en fixant mon attention sur ce qui n'était pas essentiel. Ai lieu de chercher ce qui est éternel, j'ai consacré tout mon temps aux choses de ce monde.
"Et puis, zut! A quoi bon rêvasser ainsi? Si je continue, mes genoux pourraient bien se mettre à trembler à l'approche du peloton d'exécution."
Se levant de sa couche et toujours suivi de la sentinelle, il retourna dans le jardin où ses regards se fixèrent sur le cadran solaire et sur son inscription: "Horas non numero nisi serenas" (Je ne compte que les heures claires).
"Quelle belle devise que l'oubli de toutes les choses indignes et vulgaires de la vie, pour ne voir que le bien, la vérité et la beauté!"
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Mais en passant en revue sa vie qui allait prendre fin, il se demandait jusqu'où sa conduite s'était conformée à ces aspirations. Sa conscience lui révélait ses nombreux manquements et lui montrait qu'il était resté loin de cet idéal.
Maintenant, il était trop tard. Lentement, inexorablement, l'ombre avançait sur le cadran solaire, et il n'en pouvait détacher son regard. Il y avait quelque chose de fascinant et d'inquiétant dans cette lente avance vers les cinq heures fatales où le peloton d'exécution viendrait le fusiller.
Il n'était pas préoccupé de sa mort, mais il s'était attaqué au problème de la Vie, et il éprouvait un désir intense de lui trouver une solution. Cependant, il y avait cette ombre sur le cadran, "cet intangible néant" avançant peu à peu, mais inexorablement. Oh! s'il pouvait avoir la chance de recevoir quelque lumière sur le problème de la vie!
Les exécutions des condamnés à mort en vertu de la loi martiale avaient ordinairement lieu le matin, mais on l'avait poliment averti du fait qu'en raison d'un déplacement imminent de l'unité qui l'avait capturé, il serait exécuté à la fin de l'après-midi. Il avait répondu par un hochement de tête et un haussement d'épaules. Quelle importance cela pouvait-il avoir? Tôt ou tard, il serait prêt, mais maintenant il se prenait à regretter les heures qui lui auraient permis de réfléchir aux questions qu'il se posait.
Au moment de quitter cette ombre sur le cadran, son avance silencieuse lui sembla plus éloquente que tout discours sur la brièveté de la vie et la certitude inexorable de la mort.
De nouveau, il s'étendit sur sa couche pour réfléchir au problème de l'existence. Dans moins d'une demi-heure, il allait tout savoir - ou rien. Ou bien il serait anéanti dès que la balle qui devait inévitablement toucher son coeur aurait éteint la flamme de sa vie - ou alors il serait libéré sous forme d'esprit. Tout dépendait de la véracité de l'une ou de l'autre théorie, et son sentiment d'incertitude et d'angoisse ne faisait que s'accroître. Parmi tous ceux qui avaient déclaré avoir foi en l'immortalité de l'âme, personne ne paraissait savoir; tous ne faisaient qu'y croire.
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Ou plutôt tous sauf un seul, et il se rappela soudain qu'au cours de ses études, ayant eu besoin de calmer ses nerfs fatigués à force de concentration sur un sujet difficile, il était allé chercher du repos dans une station balnéaire renommée. Il y avait rencontré une personnalité très intéressante et sortant du commun. Cet homme, qui était paisible, cultivé et sans prétention, l'avait attiré dès le début, et une fois, de fil en aiguille, leur conversation avait dévié sur les théories de la vie. Lui, le condamné, avait soutenu la thèse matérialiste, mais son interlocuteur lui avait proposé quelques arguments auxquels il n'arrivait pas à répondre.
Toutefois, ce qui l'impressionnait maintenant n'était pas la force des arguments, mais le souvenir de l'autorité qui émanait de lui; c'était le ton et le comportement de quelqu'un qui savait ce dont il parlait, et il fut saisi d'un ardent désir de savoir, lui aussi.
Cet homme avait-il donc réellement passé par les expériences dont il parlait?
Il avait fait mention de gens capables de "quitter leur corps à volonté, comme nous quittons notre vêtement pour entrer dans l'eau et nager". Et il avait ajouté: "C'est aussi ce que font ceux qui vont dans un certain monde invisible".
Il l'avait appelé "le monde des morts vivants" et il avait assuré que les prétendus morts y vivaient dans un corps plus subtil, en pleine possession de leurs facultés, avec la connaissance et la mémoire complète des conditions dans lesquelles ils avaient vécu leur vie terrestre. Si seulement cet ami pouvait être là maintenant, afin qu'il soit possible de lui parler et d'éclaircir ces questions qui avaient pris tant d'importance dans son esprit!
Mais que lui semblait-il percevoir dans un coin de la cellule? Etait-ce cet ami, cette forme nuageuse qui apparaissait dans ce coin sombre? Et il lui semblait entendre une sorte de voix intérieure lui disant: "Je reviendrai quand vous sortirez de votre corps", après quoi la forme disparut.
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Mais non, voyons! ce n'était qu'une invention fantaisiste, une hallucination de son cerveau dérangé, pensait-il. Son désir lui avait fait voir des choses inexistantes; mieux valait donc mettre fin à ces réflexions. Retournant au jardin, il se remit à surveiller le trait d'ombre qui, sur le cadran solaire, se rapprochait du fatidique chiffre cinq.
C'est là que le trouva le peloton; il avait un large sourire lorsqu'il salua l'officier et lui demanda la faveur de n'avoir pas les yeux bandés. Ensemble, ils se dirigèrent vers le mur qui fermait le jardin, puis il fit demi-tour, de manière à faire face à ses exécuteurs. L'officier s'écarta de lui et donna rapidement le signal qui fit partir les balles en direction de son coeur...
Il entendit la détonation des fusils braqués sur lui et ressentit une violente douleur, comme si un fer chauffé à blanc l'avait brûlé, puis ce fut une sorte d'arrachement et, involontairement sa main se porta vers le coeur, mais que se passait-il? Avant que la main ait atteint sa poitrine, la douleur était partie, aussi se hâta-t-il de replacer sa main à son côté, car il ne fallait pas que les ennemis de sa patrie le prennent pour un poltron.
Il porta de nouveau son regard sur le peloton d'exécution, s'attendant à ressentir d'un instant à l'autre le choc des balles qu'il avait déjà éprouvé par anticipation, car c'était la seule explication du choc et de la douleur de tout à l'heure.
Mais...que se passait-il donc? Les soldats étaient au garde-à-vous et leur officier s'éloignait de lui pour les déconsigner. "Auraient-ils peut-être tiré à blanc?" Mais non, c'était impensable. Il examina son vêtement et y découvrit trois trous devant la région du coeur. Il mit son doigt dans l'un d'eux, aussi loin qu'il le put et le retira ensuite surpris par l'absence de souffrance et de sang. Il avait donc été atteint par trois balles et, selon ce qui se passe invariablement en pareil cas, il aurait dû s'effondrer, mourir sur le coup, alors qu'il se sentait plus vivant que jamais.
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Impulsivement, il courut après l'officier, le prit par le bras et lui demanda une explication, mais l'officier sembla ne tenir compte ni du geste, ni de la question, continuant à marcher en direction de ses hommes.
"Est-ce que je rêve, est-ce que je perds l'esprit, ou quoi?
- Ni l'un ni l'autre, mon ami" répondit une voix à côté de lui. Se tournant, il aperçut l'ami auquel il avait songé. Oui, c'était cet homme qui s'était dit "Rosicrucien". Quel intense soulagement! Sûrement il allait lui expliquer cette expérience troublante.
.Mais comment êtes-vous venu ici? Je ne vous ai pas vu entrer avec le peloton d'exécution.
- Votre vision n'était pas encore accordée sur les vibrations spirituelles; vous étiez encore aveuglé par le voile de la chair" fut la réponse, dont l'espion ne comprit pas le sens, car il se demandait si son ami était sain d'esprit ou non.
"Je vois que vous ne m'avez pas compris et que ma réponse ne fait qu'ajouter à votre perplexité, continua l'ami, parce que vous ne vous rendez pas compte que vous êtes mort.
- Mort? Vous ne savez sûrement pas ce que vous dites. Comment pourrais-je être mort, puisque je suis ici debout, en train de vous parler?" répondit l'espion, encore plus désorienté.
"Je ne me suis pas bien exprimé; j'aurais dû dire: votre corps est mort", répondit le Rosicrucien.
Mais l'espion, dont le désarroi faisait peine à voir, le regarda d'un air désespéré. Il n'y comprenait rien; l'un des deux avait-il perdu la raison, ou peut-être tous les deux?
"Mon corps est mort, dites-vous, Mais comment pouvez-vous croire une chose pareille? Je suis ici debout, en train de me servir de mes lèvres pour vous parler. Je puis parler et marcher aussi bien que vous...Quoique je sois forcé d'avouer qu'avec trois balles dans le coeur, je me demande comment c'est possible.
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- Je comprends votre embarras, mon ami, et je vais tout vous expliquer, mais voulez-vous venir avec moi vers l'endroit où vous étiez devant vos exécuteurs; il y a là quelque chose qui vous intéressera".
Ensemble, ils se dirigèrent vers cet endroit.
"Regardez là, parmi les fleurs, mon ami", dit le Rosicrucien.
Dans la direction indiquée, l'espion aperçut, à moitié caché par les hautes herbes et les fleurs qui proliféraient à cet endroit, une forme qui semblait être lui-même, la face contre terre. Il se pencha et tenta de retourner ce corps pour éclaircir cette nouvelle énigme, mais il n'était pas au bout de ses surprises, car au moment où il saisit l'épaule de ce qui avait été son corps, sa main la traversa comme si elle avait été formée de vapeur et non de chair et de sang. S'étant relevé, il se tourna vers son compagnon:
"Pour l'amour du ciel, les mystères s'ajoutent aux mystères; veuillez m'expliquer ce qui m'arrive, car si je n'ai pas déjà perdu la boule, je sens que cela va venir d'une minute à l'autre!
- Patience, mon ami, répondit le Rosicrucien; tout cela est normal, et je vais vous mettre à l'aise en quelques minutes, car voici ce qui est arrivé:
"Lorsque le peloton a tiré sur vous, trois balles ont pénétré dans votre coeur avec un effet tellement foudroyant que vous n'avez ressenti la douleur que pendant une fraction de seconde, avant que le corps éthérique qui vous sert maintenant soit arraché de votre corps matériel, lequel est tombé en avant. Dorénavant, ce corps éthérique vous servira tout aussi bien, et même mieux, que le corps de chair dont votre mort vous a privé."
"Corps éthérique", balbutia l'espion, toujours incapable encore de bien comprendre.
"Oui, mon ami. Cela vous semble-t-il étrange que l'homme possède un corps éthérique? La science émet l'hypothèse que toutes choses, du minéral le plus dense jusqu'aux gaz les plus subtils, sont interpénétrées par l'éther, et elle est dans le vrai. Le corps humain ne fait pas exception; il est aussi interpénétré par l'éther.
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Lorsque cet éther s'échappe, c'est la mort du corps, ainsi que cela a été démontré par un médecin de l'hôpital général de Boston. Il a placé les lits des mourants sur une balance et, invariablement, au moment du dernier soupir, il a enregistré une nette perte de poids.
"Ce que les médecins et les savants ignorent est que cet éther continue à garder la forme et l'apparence du corps dense et qu'il reste la demeure de l'esprit éternel, bien qu'il soit invisible pour ceux qui vivent encore dans leur corps physique."
A ces mots, l'expression de l'espion montra combien il était soulagé, mais un point n'était pas encore très clair: "Mais, comment l'éther a-t-il pu sortir de mes vêtements, puisque je porte le même costume que mon corps mort? Et comment se fait-il que les trous produits par les balles se soient reproduits sur mon vêtement actuel?
- Il s'agit là d'un tour que vous a joué votre subconscient. Bien que vous n'ayez pas eu conscience du dommage dont votre corps a été victime, cette circonstance a été enregistrée au moment où vous avez rendu le dernier soupir, sur un petit atome logé dans votre coeur. En effet, chaque fois que l'on respire, l'éther qui pénètre avec l'air dans les poumons apporte une image de tout ce qui vous entoure, en vertu du même principe selon lequel l'éther transporte le paysage sur un film photographique. Donc cet atome, appelé atome-germe, correspond au film de l'appareil; chaque respiration y grave une nouvelle image, et ceci du berceau à la tombe. Cet enregistrement détermine votre sort dans l'après-vie, et il est à la base du dicton "l'homme est ce qu'il pense en son coeur". Lorsque les prétendus "morts" quittent leur corps de chair, l'éther devient leur enveloppe; il reproduit fidèlement les caractéristiques physiques de la dernière image gravée sur l'atome-germe. C'est l'essence de cet enregistrement que le décédé emporte avec lui et qui déterminera l'orientation de sa vie future".
Plongé dans ses réflexions, l'espion ne répondit pas; il était en train d'examiner toutes les implications des faits avancés par le Rosicrucien.
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Ses explications lui paraissaient parfaitement logiques et en accord avec les théories scientifiques connues. Il comprenait aussi que l'atome-germe pouvait être extrêmement petit, puisque l'oeil d'une mouche présente de multiples facettes, dont toutes reproduisent l'image des lieux environnants. Le microscope n'avait-il pas révélé le monde de l'infiniment petit? Qui pouvait fixer une limite à ce genre de découvertes?
"Mais faut-il que je reste éternellement avec ces trous dans mes habits et ces blessures dans ma poitrine? Ou bien peuvent-elles guérir? Et où trouver d'autres vêtements?
- Rien de plus facile, mon ami. Comme je viens de le dire, l'homme est ce qu'il pense en son coeur. Au début de la guerre (1914) les pauvres soldats qui avaient été fauchés par milliers sur les champs de bataille, horriblement mutilés, se désolaient terriblement de leur condition, jusqu'à ce qu'il nous ait été possible de les amener à croire que leur pensée suffisait pour leur rendre la santé, et il fallut un temps considérable pour y parvenir, car ces cas étaient innombrables et nous n'étions que quelques-uns. Mais peu à peu nous les avons convaincus, ce qui leur a permis d'aider d'autres victimes, si bien qu'à l'heure actuelle il y a des milliers d'aides prêts à accueillir et à instruire les milliers de nouvelles victimes.
"Ah! je vois que vous êtes un bon élève: vous avez déjà réparé votre habit et guéri vos blessures.
- Oui, répondit l'espion, et merci de m'avoir aidé. Jamais je ne pourrai vous rendre l'immense soulagement dont je vous suis redevable. Mais il me reste une petite difficulté: Comment se fait-il que mon corps m'ait semblé de vapeur et que mes mains l'aient traversé? Je sais pourtant qu'il est solide.
- Oh oui, c'est une chose amusante: ceux qui vivent dans le monde physique se figurent que les prétendus morts sont des fantômes composés d'une matière très ténue, sorte de fumée - pour autant, évidemment, qu'ils croient en leur existence. Quant à leurs propres corps, ils les croient aussi solides qu'un roc.
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Mais après leur passage de l'autre côté, ils sont choqués de constater que les habitants du monde physique sont tout aussi peu matériels que nous le sommes pour eux, et qu'il nous est aussi facile de passer notre bras à travers eux que, pour eux, de marcher à travers nous. Bref, ils sont aussi fantomatiques pour nous que nous le sommes pour eux.
"Vous voilà donc devenu un habitant du Pays des morts vivants. Venez, partons d'ici et allons l'explorer ensemble, mais tout d'abord, y a-t-il quelqu'un à qui vous voudriez parler, car pendant quelques heures votre corps spirituel sera plus dense que pendant la suite de votre séjour et il vous sera plus facile de vous manifester que par la suite.
- J'ai une soeur, mais elle vit à X, distant de près de mille kilomètres. Ici même, je n'ai personne qui pourrait s'intéresser à moi.
- La distance ne constitue pas un obstacle pour l'esprit, dit le Rosicrucien. Pensez simplement que vous êtes chez votre soeur, et nous y serons dans deux minutes.
Ensemble, ils se mirent à voyager dans les airs, et la vitesse ne paru pas excessive à l'espion, alors qu'il survolait villes et villages. Il lui semblait avoir tout le temps d'observer les détails de la contrée, l'architecture des bâtiments, les costumes des habitants, etc. En traversant une vaste étendue d'eau, il aperçut de nombreux navires avec leur équipage et leurs voyageurs. En vérité, le temps ne lui semblait ni long, ni court; il n'en avait simplement pas conscience et il fut surpris de la manière décontractée avec laquelle il voyageait en observant le paysage comme s'il n'avait jamais fait autre chose.
Une circonstance était tout de même étrange et l'avait gêné au début: le fait que l'air semblait rempli de formes d'esprits qui flottaient comme lui et le Rosicrucien. Au début, il essaya de les éviter, mais n'y parvenant pas, il se prépara à la collision. A sa grande surprise, il constata que ces êtres passaient à travers lui et son compagnon comme s'ils étaient inexistants. Il en fut d'abord consterné et déconcerté, mais le rire du Rosicrucien voyant son embarras le rassura.
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"Ne vous alarmez pas, lui dit-il; c'est l'usage dans le pays des morts vivants, où les formes sont tellement plastiques qu'elles peuvent s'interpénétrer mutuellement sans que nul ne soit en danger de perdre son identité".
Arrivé chez sa soeur, il la trouva assise dans une pièce confortable. Impulsivement, l'espion se précipita vers elle pour l'embrasser, mais ses mains, au lieu de l'étreindre, passaient à travers.
Il se tourna de nouveau vers le Rosicrucien et lui demanda ce qu'il devait faire pour que sa soeur le remarque. "Tenez-vous dans ce coin où la lumière est moins intense, car les vibrations éthériques de la lumière sont plus fortes que celles que vous êtes capables de créer. Dans votre esprit, énoncez clairement le message que vous désirez lui communiquer et pensez-y avec toute l'intensité dont vous êtes capable. C'est l'intensité de votre pensée. avant votre exécution, qui m'a fait quitter temporairement mon corps physique pour vous rejoindre et vous aider pour votre transition. Si vous pouvez penser avec la même intensité au message que vous destinez à votre soeur, elle le recevra et ses yeux seront attirés vers vous."
Selon les instructions reçues, l'espion formula son message: "Je me trouve dans le pays des morts vivants; j'ai passé de l'autre côté". Fixant son regard sur sa soeur, il restait immobile dans son coin, répétant son message pendant plusieurs minutes. Soudain, les yeux de sa soeur se dirigèrent vers le coin où il se trouvait, et à la vue de son frère elle se mit à trembler, voulut se lever et tomba évanouie sur le sol. Immédiatement l'espion se précipita vers elle pour la relever, mais au même moment elle se jeta dans ses bras avec un cri de joie.
"Oh, comment es-tu venu, Bob? Il y a peu de jours, j'ai reçu une lettre disant que tu partais pour une mission dangereuse, et te voilà maintenant ici. Comment as-tu fait pour venir si vite?"
De nouveau, l'espion était abasourdi; n'avait-il pas vu sa soeur tomber, et maintenant elle était debout. Etait-elle aussi morte?
"Non", expliqua le Rosicrucien en s'avançant, tandis que Bob le présentait à sa soeur comme l'un de ses amis.
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"Non, elle n'est pas morte; elle s'est seulement évanouie, et elle devrait rentrer dans son corps. Le voici, couché par terre, comme votre propre corps après votre exécution. Elle ne se souviendra probablement pas de vous avoir parlé maintenant, et elle ne saura pas que vous êtes désormais au pays des morts vivants, mais elle aura simplement l'impression de vous avoir vu apparaître dans le coin de la pièce, et qu'il vous est arrivé quelque chose. A moins, toutefois, que vous ayez réussi à lui laisser l'impression de votre message disant que vous aviez passé de l'autre côté du voile et que vous étiez au pays des morts vivants. Cependant, chaque soir, lorsqu'elle s'endormira, la même occasion se présentera de lui parler, car quand nous dormons, nous sommes réellement dans le même pays que ceux dont on dit qu'ils sont "morts".
A ce moment, la soeur de l'espion sembla s'endormir et fut irrésistiblement attirée vers le corps gisant sur le sol. Graduellement, l'espion la vit fondre et disparaître dans cette forme, laquelle se mit à gémir et à remuer.
"Venez, et partons, dit alors le Rosicrucien. Pendant que vous lui parliez, j'ai travaillé sur son corps et j'ai fait tout ce qui peut être fait pour faciliter son réveil et son retour à la conscience normale. Nous ne pouvons rien d'autre pour elle, et nous avons encore d'autres choses à voir".
(Note - Le héros de ce récit n'a pas passé par le purgatoire: voir à ce sujet "Philosophie Rosicrucienne en Questions et Réponses", tome II, Questions n° 15.)