En résumé, l'amour dans la voie rapide de haute perfection comme le dit Utpaladeva, « le grand trésor digne d'être protégé, accru et profondément vénéré ».

Il n'est pas seulement la source de la vie du mystique, mais encore sa fin, car Siva est amour et la bhakti trouve son achèvement dans le désir divin ( Icchasakti ) lorsqu'elle rejoint le Cœur universel et vibrant et se met à l'unisson de la pulsation cosmique (spanda).

Tout commence par un regard d'amour de Dieu; et à l'intérieur de Siva sans limites; le mouvement d'amour qui émane de Lui retourne à Lui. C'est en ce sens que l'amour est un don gratuit de la grâce : Siva prend l'initiative de la quête d'amour; il révèle d'abord sa présence vivifiante dans le cœur de l'homme et celui-ci ainsi sollicité, répond aussitôt à la grâce, en un élan spontané de tout son être, si la grâce est intense, ou bien avec lenteur, s'absorbant amoureusement en elle, si l'appel est plus doux.

Le désir de la limaille contient tout : il suffit de la désirer, de ne désirer qu'elle pendant un instant, pour l'obtenir aussitôt ; sa possession ne dépend que de la force et de la constance du désir.

A l'inverse des ascètes qui se dispersent en essayant d'écarter les obstacles et en s'astreignant à des moyens extérieurs, les  bhakta, recueillis et unifiés dans le seul amour, ne se soucient que de la Réalité dont ils ont l'âpre désir.

Le mystique cherche à la connaître et à l'aimer s'il chemine sur la voie  de l'énergie. "Des le début, son amour se présente comme une intériorisation ou une expérience abyssale obscure et apaisée. En contact avec Siva, il s'absorbe dans la saveur délicieuse de l'amour, mais il ne la goûte que de temps à autre et d'une manière sensible, il garde constamment sur les lèvres et dans le cœur le nom de l'aimé ; puis l'absorption devient si douce que, par-delà les mots, surgit un désir intérieur difficilement contenu ; le mystique se tient dans l'élan, au premier instant, dans l'inachevé, incapable d'exprimer en phrases ni en mots la ferveur de son amour, la pensée interdite et muette. L'attrait qu'il ressent est si vif que, dès qu'il se tourne vers Siva, il est projeté dans un abîme d'amour. 

Puis bien imprégné de cet amour, il discrimine avec le cœur, possédant à la fois lumière mystérieuse et amour dans la sérénité, la paix et la joie, passant tantôt par une phase d'ivresse, d'extase et de folie, tantôt de sommeil mystique, d'assoupissement et de quiétude dans laquelle il oublie tout ce qui est extérieur. Parvenu à ce degré, il ne goûte plus à l'amour, il y baigne sans discontinuer, entièrement plongé en Dieu et vivant de sa vie.

L'envahissement graduel de l'amour obéit à des alternances de, plénitude et de privation. La vibration, non moins essentielle que l'abondance, et qui mené à l'anéantissement du moi, porte sur tous les plans : mourant à ses diverses modalités psychiques, le mystique plongé dans les ténèbres se dirige à son insu vers une connaissance nouvelle et indifférenciée (nirvikalpa) tandis que  l'embrasement d'amour s'élabore dans le secret de son cœur, l'amour devenant de plus en plus simple, dépouillé et  délicat à mesure que l'intelligence et la sensibilité s'affinent. Au cours de cette immersion profonde et obscure d'un vide en un vide toujours plus partait sa Volonté elle-même se transforme  :  véritable esclave de Siva, le mystique renonce a son désir propre : il ne sait pas, ne sent pas, n'aime rien, ne veut rien et, progressant ainsi, il atteint le Centre ardent ou le feu de l'amour à tout consumé, immolant à la Conscience du Bhairava sans mode toutes les modalités des sens et de la pensée.

Que la possession ait été lente ou rapide, à la fin le saint doit faire un bond dans l'infini et soudain lâcher prise, renoncer à tout le relatif s’il veut s'emparer de l'absolu. Par cette marche fulgurante, propre à la voie brève de Siva, l'être intrépide parvient à l'illumination.

Il n y a qu'une seule illumination, il est vrai, mais elle peut, être ou précaire ou permanente. Si le désir est d'une ardeur exceptionnelle, le saint, dans son âpre recherche et en un seul élan, saisit la Réalité et, ne la lâche plus; alors "toutes ses habitudes passées s'évanouissent d'un coup et l'illumination aboutit à la divinisation de l'être total (voie de Siva). Si, par contre, 1e désir manque d intensité, le mystique ne peut s'accrocher à la Réalité : il doit monter à l'assaut encore et encore, et veiller fidèlement à la porte en percevant des éclairs par les fentes du panneau verrouillé (voie de l'énergie). Bien que, durant l'extase, il jouisse de sa véritable nature, les tendances de son inconscient réapparaissent lors de son retour aux conditions humaines et voilent la Réalité. Sa tâche n'est donc pas achevée : l'amour illuminé qui forme désormais sa substance la plus intime, doit envahir sa propre personne et l'univers entier ; passant d'abord du cœur dans le corps qu'il nourrit de l'intérieur, il pénètre de façon égale dans tous les états psychiques : veille, rêve, sommeil profond et se manifeste dans ses œuvres. Enfin il s'insinue dans l'univers, simple prolongement de son activité.

Avec une liberté souveraine, le mystique jouit de toutes les choses divines et humaines qu'il aime pour leur beauté essentielle et parce qu'elles sont Siva même.

Alors, totalement imprégné de Dieu, les facultés comblées, le cœur vraiment satisfait, et la volonté divinisée, il atteint l'amoureuse égalité (samatâ), tout n'étant plus pour lui qu'amour universel et divin.

S'étant dépouillé de ses diverses modalités, devenu immense et sans limites, il rejoint le Dieu indifférencié (nirvikalpa) auquel il s'identifie. Parvenu à l'amour triomphant de la Majesté divine, il répand gratuitement cet amour car il réside au Centre efficace, dans la volonté de Siva, en pleine grâce, y puisant les dons qu'il distribue avec générosité.

Tel est le Banquet cosmique où ne siège que Paramasiva.

1. Le mystique identifié à Siva étant l'agent unique et universel.

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