Octobre 1914
Pour nous faire une idée claire de ce qu'est l'initiation et de ce qui est requis pour franchir ce pas, commençons par nous pénétrer de l'îdée que l'humanité, en son ensemble, progresse très lentement sur le Sentier de l'évolution. C'est presque de manière imperceptible qu'elle parvient à des états de conscience de plus en plus élevés. Vu sous le seul angle du plan physique, le sentier de l'évolution se présente comme une spirale, mais lorsqu'on considère à la fois ses phases physiques et spirituelles il se présente comme une lemniscate (voir le tableau du caducée chimique dans la "Cosmogonie des Rose-Croix", à la fin du chapitre 15).
La lemniscate, qui correspond à la forme d'un chiffre 8, comporte deux cercles se rejoignant sur un point central; et ces cercles peuvent être regardés comme le symbole de l'Esprit immortel, l'Ego en cours d'évolution. L'un des cercles représente sa vie dans le monde physique, de la naissance à la mort; l'autre, son
existence dans l'au-delà. Au cours de sa vie terrestre, chacun des actes de l'Ego représente une semence, dont il devrait récolter une certaine dose d'expérience. Mais tout comme nous pouvons ensemencer un champ et ne rien récolter de ce qui est tombé dans les cailloux, les épines et les chardons, etc., il en est de même des occasions de progrès spirituel gaspillées en raison de notre négligence à travailler notre sol pour faire fructifier nos talents, si bien qu'alors la vie est stérile et ne porte pas de fruits. Inversement, de même que des soins diligents dans la culture augmentent énormément le rapport de nos semailles, ainsi une sérieuse application aux affaires de notre vie, le fait de saisir les occasions, d'en apprendre les leçons, d'assimiler les expériences que nous offre notre milieu, nous apporte de nouvelles occasions de progresser, si bien qu'à la fin de notre existence terrestre, l'Ego se présente au seuil de la mort, chargé d'une abondante récolte, représentant le fruit de cette vie.
Le travail objectif de l'existence est terminé, la journée d'activité a pris fin, et l'Ego aborde maintenant la phase de son travail subjectif d'assimilation, qui s'accomplit pendant son séjour dans les mondes invisibles. Il traverse ces mondes au cours de la période qui s'écoule entre la mort et une nouvelle naissance, période symbolisée par l'autre cercle de la lemniscate. Les méthodes pour accomplir cette assimilation ayant été minutieusement décrites dans notre littérature, il est inutile de les répéter ici. Disons simplement que lorsque l'Ego arrive au point de jonction qui se trouve entre le monde physique et les plans invisibles et que nous appelons le portail de la naissance ou de la mort, selon que l'Ego entre dans la région où nous pouvons être en ce moment, ou qu'il la quitte, il apporte avec lui un bagage de facultés et de talents acquis dans ses existences précédentes. Il peut, à son choix, le faire fructifier ou le négliger pendant cette nouvelle incarnation, mais c'est de l'usage qu'il fera de ce qu'il possède que dépendra sa croissance spirituelle.
Si pendant de nombreuses vies, il satisfait principalement sa nature inférieure, laquelle vit pour manger,
boire et s'amuser, ou bien s'il passe sa vie en rêveries métaphysiques sur la nature de Dieu, persistant à s'abstenir de toute action à laquelle il n'est pas contraint, il sera graduellement dépassé et laissé en arrière par les esprits plus actifs et progressistes. Les grands groupes de ces désoeuvrés forment ce que nous appelons les "races arriérées", alors que ceux qui sont actifs, alertes, prêts à saisir les occasions de progrès qui se présentent, sont les pionniers. Contrairement à l'opinion courante, ceci s'applique aussi à ceux qui travaillent dans l'industrie. Leur intérêt à gagner de l'argent n'est qu'accessoire, c'est un stimulant et, à part cet aspect, leur travail est aussi spirituel, ou même davantage que celui des êtres qui passent leur temps en prières au détriment de tout travail utile.
Il est donc évident que la croissance spirituelle s'accomplit par la méthode d'évolution, laquelle requiert l'action dans la vie physique, suivie, après la mort, par un processus d'assimilation au cours duquel les leçons de la vie écoulée sont extraites et complètement incorporées à la conscience de l'Ego, tandis que les expériences elles-mêmes sont oubliées - tout comme nous avons perdu le souvenir de la peine que nous avons eue à apprendre la table de multiplication, bien que la faculté de nous en servir nous reste.
Ce procédé excessivement lent et fastidieux est parfaitement adapté aux besoins des masses, mais il y a des personnes qui épuisent les expériences couramment données et qui réclament et méritent un champ d'action plus étendu, où leur énergie puisse se donner libre cours. Ces pionniers se divisent en deux classes, selon leur tempérament.
L'une de ces classes, guidée par sa dévotion pour le Christ, suit simplement les impulsions du coeur dans ses actes de charité envers autrui. Ce sont des êtres d'élite, des phares qui rayonnent l'amour sur un monde de souffrance, jamais poussés par des motifs intéressés, toujours prêts à sacrifier leur agrément personnel pour aider les autres. Tels étaient les saints; ils travaillaient autant qu'ils priaient, sans jamais se dérober à l'une ou
l'autre de ces activités. Mais ils ne sont pas morts; nous en avons toujours parmi nous, et la terre serait un désert aride, malgré toute la civilisation, s'ils n'étaient pas toujours en route pour apporter leur aide et si la vie des affligés n'étaient pas illuminée par l'espoir qui luit sur leur beau visage. Si seulement ils possédaient la connaissance qui est l'apanage de l'autre classe, ils la distanceraient rapidement dans la course vers le Royaume de Dieu.
L'esprit intellectuel est la principale caractéristique de l'autre classe. En vue de l'aider dans ses efforts pour progresser, on a fondé dans l'Antiquité des Ecoles de Mystères où le drame du Cosmos était joué pour donner à l'âme de l'aspirant, pendant son extase, des réponses à ses questions sur l'origine du monde et la destinée de l'humanité. Revenu à lui, le néophyte recevait, sur la science sacrée, des enseignements qui lui montraient comment s'élever plus haut en suivant la méthode de la Nature - laquelle est Dieu en manifestation - consistant à semer les graines de l'action, à méditer sur les expériences qui en découlent et à en assimiler l'essence morale, ajoutant ainsi à sa croissance spirituelle. Chose importante, alors que dans le cours ordinaire de l'existence, toute la vie se passe à semer, et le séjour d'outre-tombe à méditer et à assimiler la substance de l'âme, ce cycle d'environ un millier d'années peut être réduit à un seul jour, selon la maxime mystique "Un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour" (2 Pierre 3/8). Autrement dit, en méditant sur le travail, quel qu'il soit, accompli en une journée, avant de franchir le point neutre entre la conscience de veille et le sommeil, on peut en incorporer l'essence à la conscience de l'esprit comme un pouvoir que l'âme peut utiliser. Lorsque cet exercice est fidèlement accompli, les péchés de chaque jour ainsi passé en revue sont réellement effacés, et l'homme commence, en quelque sorte, chaque jour une nouvelle vie, avec le pouvoir de l'âme acquis dans toutes les journées précédentes de sa vie de candidat.
Mais!...Oui, il y a un grand "mais", car on ne triche pas avec la Nature ; on ne se joue pas de Dieu. "On
récolte ce que l'on a semé" (Galates 6/7). Ne croyons pas que de revoir d'une manière formaliste les événements de la journée en se disant peut-être négligemment "je voudrais bien n'avoir pas fait cela" lorsqu'on revoit une scène où l'on a réellement mal agi, nous évitera le courroux à venir. Lorsque, au moment de la mort, nous passons au purgatoire et que le panorama de la vie écoulée se déroule à rebours pour nous montrer d'abord les effets, et ensuite les causes qui leur ont donné naissance, nous éprouvons beaucoup plus intensément les peines que nous avons causées à autrui, et si nous ne faisons pas nos exercices de la même manière, en vivant chaque soir l'enfer que nous avons mérité, en ressentant vivement chaque douleur infligée par nous, ils ne nous seront d'aucune utilité. Nous devons aussi tâcher de ressentir intensément de la reconnaissance pour les bontés reçues d'autrui, et ne pas oublier de nous féliciter du bien accompli par nous-mêmes.
C'est seulement de cette manière que nous pourrons vivre à l'avance notre existence d'outre-tombe et progresser de manière rationnelle vers le but de l'initiation. Le plus grand danger pour l'aspirant suivant ce sentier est de se laisser prendre au piège de l'égotisme (sentiment exagéré de sa valeur, infatuation) et sa seule sauvegarde est de cultiver la foi, la dévotion et une sympathie qui englobe tous les êtres. C'est difficile, mais cela peut être fait, et celui qui y parvient acquiert un merveilleux pouvoir de faire du bien dans le monde.
Si l'étudiant a bien réfléchi à ce qui précède, il aura probablement saisi l'analogie entre le cycle de longue durée de l'évolution, et les cycles journaliers qui représentent autant d'étapes sur le sentier de la préparation. Il doit bien se rendre compte que personne ne peut faire à sa place ce travail d'après-vie et lui transmettre la croissance de l'âme qui en résulte, pas plus qu'on ne peut manger la nourriture de quelqu'un et lui transmettre la substance et la croissance qui en découleraient. Vous trouvez illogique le fait d'offrir de diminuer le séjour d'une âme au purgatoire, comme le font certains prêtres, mais comment pouvez-vous
croire que quelqu'un d'autre soit capable, à n'importe quel prix, d'éluder en votre nom la nécessité d'un certain nombre de passages au purgatoire, et de vous transmettre le pouvoir de l'âme dont vous pourriez disposer si vous aviez continué le cours naturel de la vie jusqu'au moment où vous auriez été prêt pour l'initiation? Voilà cependant à quoi correspond l'offre d'initier quelqu'un qui ne se trouve pas devant le seuil. Vous devez avoir accumulé le pouvoir de l'âme nécessaire à l'initiation, faute de quoi personne ne saurait vous initier. Si vous l'avez, vous êtes parvenu au seuil par vos propres efforts, et vous pouvez revendiquer l'initiation comme un droit que personne n'oserait contester ou dénier. Si vous ne l'avez pas et s'il pouvait être acheté, une fortune entière n'atteindrait pas à la valeur d'un tel privilège; et celui qui vous l'offre pour une poignée de dollars est aussi ridicule que celui qu'il dupe. Rappelez-vous que si quelqu'un offre de vous initier dans un ordre occulte, qu'il l'appelle Rose-Croix ou de tout autre nom, sa demande du versement de "droits d'initiation" le classe immédiatement comme imposteur. L'explication que cet émolument sert à l'achat d'accessoires, vêtements de cérémonie, etc., n'est qu'une évidence supplémentaire de la nature fallacieuse de l'ordre, car nous n'insisterons jamais assez sur le fait que l'initiation n'est pas une cérémonie extérieure , mais une expérience intérieure . Je puis ajouter que, dans le Temple mystique où j'ai reçu la Lumière, les Frères Aînés m'ont posé une condition formelle, à savoir que leur science sacrée ne devait jamais être monnayée . L'ayant reçue gratuitement, je dois la transmettre gratuitement, et j'ai obéi à cette injonction à la fois en esprit et à la lettre, comme le savent tous ceux qui ont eu affaire au Rosicrucian Fellowship.