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CHAPITRE 16 - LE SON, LE SILENCE ET LA CROISSANCE DE L'ÂME

Février 1917

Les étudiants sincères de la science spirituelle sont naturellement très désireux de "croître en grâce" afin de pouvoir mieux servir dans la Grande Oeuvre de l'élévation du genre humain. Etant humbles et modestes, ils ne sont que trop conscients de leur insuffisance et, bien souvent, s'ils sont à la recherche de moyens d'accélérer leurs progrès, ils se demandent "Qu'est-ce qui m'entrave ?". Certains mystiques, surtout dans le passé où la vie était moins intensément vécue que de nos jours, se rendaient compte que l'existence quotidienne parmi l'humanité ordinaire avait de nombreux inconvénients. Pour les éviter, pour accélérer leur croissance spirituelle, ils se retiraient de leur communauté et entraient dans un monastère, afin de pouvoir se consacrer à la vie spirituelle sans être dérangés.

Nous savons cependant que ce moyen n'est pas le bon. La plupart de nos étudiants n'ignorent pas que si l'on se dérobe aujourd'hui à une expérience, elle se représentera demain, et que les palmes de la victoire ne peuvent s'obtenir qu'en surmontant les difficultés du monde au lieu de les esquiver. Le milieu dans lequel

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nous avons été placés par les Anges de Justice a été choisi par nous dans le Troisième Ciel, au tournant de notre cycle de vie, alors que nous étions de purs esprits, non aveuglés par le voile de matière qui obscurcit notre vision présente. Ce milieu terrestre est donc, sans nul doute, celui qui nous réserve les leçons nécessaires à notre développement, et c'est une grave erreur que d'essayer d'y échapper entièrement.

Mais nous avons reçu un mental dans un but bien défini, celui de nous appliquer à raisonner sur les choses et les conditions, afin d'apprendre à discerner entre ce qui est essentiel et ce qui ne l'est pas; entre, d'une part, les difficultés prévues pour nous freiner et nous permettre de développer une qualité en les maîtrisant et, d'autre part, ce qui n'est qu'une entrave qui nous froisse et nous porte sur les nerfs, sans être compensée par un progrès spirituel. Nous conserverons ainsi beaucoup d'énergie et nous aurons davantage d'enthousiasme à dépenser dans des directions utiles que maintenant. Les détails de ce problème diffèrent selon les individus, mais il y a certains principes généraux dont chacun pourra faire son profit en les appliquant à son cas; et l'un de ceux-ci est l'effet du silence et du son sur la croissance de l'âme.

A première vue on peut être surpris de lire que le son et le silence sont des facteurs très importants pour la croissance de l'âme, mais en examinant la question de plus près, nous verrons que ce n'est pas exagéré. Voyons d'abord cette expression très adéquate: "La guerre, c'est l'enfer", puis imaginons une scène de guerre. C'est un spectacle épouvantable, surtout pour ceux qui sont doués de la vue spirituelle. Ceux qui n'ont que la vue physique peuvent au moins fermer les yeux s'ils le veulent, mais l'horreur complète pèse lourdement sur le coeur de l'aide invisible qui non seulement voit et entend, mais encore ressent en lui l'angoisse et la douleur de toute la détresse qui l'entoure, comme Parsifal ressentait en son coeur la blessure d'Amfortas, le roi meurtri du Graal. De fait, sans ce sentiment intense de l'unité de coeur avec ceux qui souffrent, il ne

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pourrait y avoir ni guérison, ni aide. Mais il est une chose à laquelle nul ne peut échapper, et c'est le bruit terrible des obus, le grondement assourdissant des canons, le crépitement rageur des mitrailleuses, les gémissements des blessés et les jurons d'une certaine catégorie de combattants. Nul besoin d'autres arguments pour reconnaître que c'est réellement un bruit d'enfer, ou infernal, aussi préjudiciable que possible à la croissance de l'âme. Le champ de bataille est le dernier endroit qu'un être sain d'esprit choisirait pour la croissance de son âme, même s'il ne faut pas oublier qu'il est de nombreux cas où cette croissance y a été réalisée par de nobles actes de sacrifice de soi. Toutefois, de tels résultats ont été obtenus en dépit de ces conditions et non à cause d'elles.

D'autre part, considérons une église remplie des nobles accents d'un chant grégorien ou d'un oratorio de Haendel, sur les harmonies desquels les prières de l'âme pleine d'aspiration s'envolent vers l'Auteur de notre être. Cette musique peut certainement être qualifiée de céleste ; et cette église peut être considérée comme offrant des conditions idéales pour la croissance de l'âme. Et pourtant, si nous y restions en permanence, en négligeant nos devoirs, nous irions vers l'échec en dépit de ces conditions idéales.

Il ne nous reste donc qu'une seule méthode sûre, et c'est de rester dans le vacarme du champ de bataille du monde, et d'extraire, voire d'arracher, fût-ce des conditions les plus contraires, les matériaux nécessaires à la croissance de l'âme et, en même temps, de construire à l'intérieur de nous-mêmes un sanctuaire rempli de cette musique silencieuse qui résonne toujours dans l'âme servante comme une source d'élévation au-dessus des vicissitudes de l'existence terrestre. Ayant en soi cette "église vivante" et étant devenus de ce fait des "temples vivants ", nous pouvons à tout moment tourner notre attention, si celle-ci n'est pas normalement requise par des affaires temporelles, vers cette demeure spirituelle non construite de main d'homme et nous plonger dans son harmonie. Nous pouvons renouveller cette expérience plusieurs fois par jour et restaurer

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ainsi continuellement l'harmonie qui a été troublées par les dissonances des rapports terrestres.

Mais comment pouvons-nous construire ce temple et l'emplir de cette musique céleste tant souhaitée? Qu'est-ce qui nous fera avancer, ou nous retardera? Voilà les questions qui se posent et qui demandent une solution pratique; nous allons essayer de rendre les réponses aussi claires et pratiques que possibles, car cette question est de première importance. Ce sont surtout les petites choses qui ont de l'importance, car le néophyte doit tenir compte des moindres détails. Si nous frottons une allumette par grand vent, la flamme s'éteint avant d'avoir pu s'alimenter, mais si cette petite flamme est abritée et placée dans un tas de broussailles, un fort coup de vent survenant au moment où le feu a bien pris active les flammes au lieu de les éteindre. Des Adeptes ou de Grandes Ames pourront rester calmes dans des conditions qui bouleverseraient l'aspirant ordinaire; et c'est pourquoi ce dernier devrait user de discernement et ne pas s'exposer inutilement à des conditions préjudiciables à la croissance de l'âme. Ce dont il a besoin par-dessus tout, c'est d'équilibre , et rien n'est plus contraire à cette condition que le bruit .

Il est indéniable que l'agitation de nos villes a quelque chose d'infernal et nous avon le droit, lorsque la chose est possible, d'échapper à certains bruits, tels que ceux de la circulation. Nous ne sommes pas obligés de vivre dans une rue très passante, au détriment de nos nerfs et de nos efforts pour nous concentrer, mais si nous avons un enfant malade, qui geint et qui réclame jour et nuit notre attention, peu importe si cela affecte nos nerfs; nous n'avons pas le droit, que ce soit du point de vue divin ou humain, d'abandonner ou de négliger l'enfant pour nous concentrer. Ces choses sont absolument évidentes et sont immédiatement acceptées par chacun, mais ce qui peut nous aider ou nous entraver le plus, ce sont, comme déjà dit, les petits détails qui échappent à notre attention. Leur mention pourra provoquer un sourire d'incrédulité, mais si l'on y

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réfléchit et si l'on agit en conséquence, ils obtiendront notre assentiment. Selon la formule "vous les reconnaîtrez à leurs fruits", ils donneront des résutlats et confirmeront nos dires. En effet, le silence est réellement des plus utiles à la croissance de l'âme , et l'aspirant devrait le réaliser dans son foyer, dans son comportement personnel, sa démarche, ses habitudes et même, si paradoxal que cela puisse paraître, dans son langage.

Les bienfaits de la religion sont prouvés par le bonheur qu'elle procure, mais lorsqu'il est intense, ce bonheur est généralement trop profond pour s'exprimer à l'extérieur. Il pénètre notre être avec une plénitude presque bouleversante; et des manière bruyantes ne sauraient s'accorder avec ce vrai bonheur, car elles sont un signe de superficialité. Une voix aiguë ou retentissante, un rire vulgaire, des habitudes bruyantes, le son des talons qui martèlent le sol, le claquement des portes, le heurt de la vaisselle, tout cela est la marque d'un esprit non dégrossi, qui aime le bruit parce qu'il excite le corps du désir. De tels êtres ont la musique d'église en horreur; ils lui préfèrent celle des saxophones et autres instruments tonitruants et, plus la musique est endiablée, plus ils l'apprécient. Mais il en est - ou devrait être - tout autrement pour l'aspirant à la vie supérieure.

Lorsque l'enfant Jésus était recherché par Hérode, qui cherchait à le tuer, la fuite a été son seul salut. Cette fuite lui a sauvé la vie et lui a permis de grandir et d'accomplir sa mission. De la même manière, lorsque le Christ intérieur naît chez l'aspirant, le meilleur moyen de préserver cette vie spirituelle est de fuir les milieux vulgaires où ces pratiques nuisibles sont de règle, et de chercher, à condition d'être libre de le faire, une meilleure ambiance parmi ceux qui ont de mêmes aspirations. Mais si l'on a des responsabilités familiales, on a le devoir de s'efforcer d'améliorer ces conditions par le précept et par l'exemple, mais surtout par l'exemple, afin qu'avec le temps la maison soit pénétrée d'une atmosphère plus pure et plus douce, où règnent

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l'harmonie et la fermeté. Il n'est pas indispensable, pour le bonheur des enfants, qu'il leur soit permis de pousser des cris stridents ou de se poursuivre à travers la maison en claquant les portes et en détériorant le mobilier dans leur course folle; c'est même absolument préjudiciable, car cela leur apprend à ne tenir aucun compte des sentiments d'autrui lorsqu'ils donnent libre cours à leur exubérance. Davantage que leur mère, ils profiteront d'avoir des semelles de caoutchouc, afin de faire moins de bruit; ils devraient aussi savoir réserver leurs ébats et leurs cabrioles pour le plein air. A l'intérieur, apprenons-leur à jouer tranquillement, à fermer les portes doucement et à parler aussi calmement que maman.

C'est déjà pendant notre enfance que nous commençons à ruiner les nerfs qui, plus tard, nous feront souffrir dans nos vieux jours, et c'est pourquoi, si nous apprenons à nos enfants la leçon ci-dessus, nous pourrons leur éviter beaucoup de désagréments dans la vie et, en même temps, favoriser dès maintenant notre croissance de l'âme. Réformer un ménage de ces travers qui peuvent sembler dénués d'importance, et obtenir une ambiance favorable à la croissance de l'âme peut prendre des années, et c'est spécialement le cas si les enfants sont déjà grands et se froissent des réformes de cette nature, mais cela en vaut la peine. Nous pouvons et nous devons tout au moins cultiver cette vertu du silence en nous-mêmes, faute de quoi notre croissance de l'âme sera bien minime. Peut-être qu'en considérant cette question au point de vue occulte, en relation avec ce véhicule important qu'est le corps vital , cette nécessité deviendra plus évidente.

Nous savons que le corps vital accumule constamment, dans le corps physique, de l'énergie qui est utilisée dans cette "Ecole de l'Expérience" et que, durant le jour, le corps du désir dépense continuellement cette énergie en actes produisant de l'expérience qui est finalement transmuée en croissance de l'âme. Jusqu'ici, rien à redire, mais le corps du désir, s'il n'est pas solidement tenu en bride, se plaît à des mouvements sans

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retenue , aussi extravagants que possible; si on ne se contient pas, il incite le corps à siffler, chanter bruyamment, sauter, danser et à faire toutes sortes de gestes inutiles ou vulgaires, toutes choses totalement contraires à la croissance de l'âme. Lorsqu'on se trouve sous une influence discordante, on est complètement insensible aux occasions spirituelles qui se présentent dans le monde physique, et la nuit, lorsqu'elle quitte son corps physique, le travail de restauration de ce corps prend tellement de temps qu'il en reste bien peu - s'il en reste - pour travailler, même si la personne a un désir sincère de travail psirituel.

C'est pourquoi nous devons fuir, par tous les moyens possibles, les bruits que nous ne sommes pas obligés de subir, et cultiver personnellement une attitude tranquille et aimable, une voix modulée, une marche silencieuse, une présence discrète et toutes les autres vertus qui favorisent l'harmonie, car alors le travail de restauration est accompli rapidement et nous sommes libres la majeure partie de la nuit de travailler dans les mondes invisibles pour donner ainsi plus de développement à la croissance de l'âme. Rappelons-nous dans cet effort de perfectionnement de ne pas nous laisser abattre par des insuccès passagers en nous rappelant l'avertissement de Paul de persévérer patiemment dans le bien.

 

 

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