Tout comme l'exercice est nécessaire au développement des muscles physiques, ainsi le développement de la nature morale s'accomplit par la tentation. Le choix étant donné à l'Ego, il peut l'exercer dans la direction qui lui plaît, car il apprendra tout autant, peut-être même davantage, par ses erreurs que par ses actions justes. C'est pourquoi, dans le mythe de Job, le diable est autorisé à le tenter; et dans le mythe de Faust, le tentateur adresse sa requête à Dieu:
"Gage que vous allez le perdre, Seigneur, Si vous me laissez le conduire à ma guise."
Le Seigneur réplique:
"C'est bien; je vais te laisser conduire Cet esprit loin de sa source originelle. Mène-toi, si tu peux le convaincre De descendre avec toi la pente. Mais tienne sera la honte, si tu dois reconnaître Qu'un honnête homme, dans ses plus vils désirs, Peut encore trouver le chemin du salut."(...)"
Tu peux toujours venir ici librement; Je n'ai pas de haine pour tes pareils; De tous les esprits de négation, Ce sont les fripons qui me pèsent le moins. L'homme est trop enclin à la paresse, Son activité tend à se relâcher, Et je lui donne exprès ce compagnon actif, Qui l'émoustille et joue le rôle de diable. Mais vous, les vrais enfants de Dieu, Réjouissez-vous de l'inépuisable beauté; Que tout ce qui vit, croît et se développe, vous entoure d'un climat d'amour et de devoir."
Ainsi la trame est prête, et Faust sur le point de se laisser prendre dans les mailles des filets tendus sur le sentier de toute âme qui cherche. Ce qui suit nous montre toutefois le but bienfaisant et la nécessité de la tentation. L'Esprit est une partie intégrante de Dieu; tout d'abord innocent , mais non vertueux. La vertu est une qualité positive qui se développe en résistant fermement à la tentation ou en subissant les souffrances qu'entraînent les mauvaises actions. Ainsi, le prologue dans les cieux donne au mythe de Faust une grande valeur en tant que guide et encouragement à l'âme qui cherche. Il montre le but éternel au-delà des conditions terrestres qui causent souffrance et douleur.
Maintenant, Goethe nous présente Faust installé dans sa sombre salle d'études; il est plongé dans l'introspection et la rétrospection:
"Philosophie, jurisprudence, médecine, Et toi aussi, triste théologie, hélas! Etudiées à fond, avec ardeur, Et me voici, pauvre imbécile, Aussi peu habile que devant!" (...)
"Je ne crois pas savoir quelque chose de sensé pour élever et enseigner l'humanité. Je n'ai pas travaillé pour amasser de l'or, Pour la célébrité, le rang social, les plaisirs." (...)
"Il ne me reste plus que l'art de la magie. Oh! si la force de l'esprit, ou de la parole, Pouvait me dévoiler les secrets que j'ignore, Que je n'aie plus à enseigner péniblement Des choses dont je ne connais le premier mot." (...)
"Malheur à moi, prisonnier dans le noir De ces murs étouffants que je déteste, Où pénètre à peine la lumière du ciel A travers ces carreaux multicolores!" (...)
"Debout; enfuis-toi vers les lointains espaces! Ce livre de magie, par Nostradamus, Te fera connaître le cours des astres. Si la nature te révèle ses secrets, Ton âme fortifiée s'élèvera jusqu'à elle; Tu lui parleras comme d'esprit à esprit."
Toute une vie consacrée à l'étude n'a pas apporté à Faust de connaissances réelles. Les sources conventionnelles du savoir se révèlent finalement stériles. Le savant peut penser que Dieu est superflu; il peut croire que la vie consiste en actions et réactions chimiques, du moins au début, mais plus il approfondit ses recherches sur le sujet, plus les mystères rencontrés en chemin sont grands; enfin il ne pourra poursuivre ses recherches plus avant et il sera forcé de les abandonner ou de croire en Dieu en tant qu'Esprit dont la vie pénètre chaque atome de matière. Or, Faust en est à ce point. Il dit que ses études n'ont été faites "ni pour l'or, ni pour la célébrité, ni pour le rang social, ni pour les plaisirs". Ayant lutté par amour de la recherche, il est arrivé au point où il voit que le monde de l'esprit nous enveloppe tous; et grâce à ce monde, au moyen de la magie, il aspire maintenant à une plus haute, plus réelle connaissance que celle contenue dans les livres.
Un volume écrit par le célèbre Nostradamus est entre ses mains, et en l'ouvrant, il aperçoit le signe du macrocosme. Le pouvoir contenu dans ce signe ouvre à sa conscience une partie du monde qu'il recherche;
dans une extase de joie, il s'écrie:
"Ah! quelle extase s'empare de tout mon être! Je ressens une vie nouvelle, sainte et intense. Je perçois le sens des paroles du Sage: "Le monde des esprits s'ouvre devant toi Quand tes sens sont assoupis, quand ton coeur est mort. Debout! disciple, plonge-toi sans trêve Dans les rayons rougeâtres de l'aurore!"
Il examine le signe:
"Comme tout ce qui vit s'amalgame sans cesse! Et tout ce qui se meut, agit l'un dans l'autre! Les pouvoirs célestes montent et descendent sans trêve, Se transmettant de mains en mains des seaux d'or. Du ciel à la terre, des vibrations bénies, Rosée parfumée qui revigore le sol aride, apportent à tous l'harmonie du Tout."
Mais de nouveau le balancier revient en arrière. De même qu'essayer de fixer l'éclatante lumière du Soleil détruit la rétine des yeux, ainsi l'audacieux qui veut sonder l'Infini rencontre la défaite, et l'âme qui cherche est rejetée de l'extase de la joie dans les ténèbres du désespoir:
"Quel spectacle!...ce n'est qu'un spectacle, hélas! Où pourrais-je te saisir, nature infinie? Où saisir les mamelles, source de toute vie, Auxquelles ciel et terre demeurent suspendus? Comment s'abreuver de ce lait intarissable? Il coule partout, il inonde tout; et moi Je languis vainement après lui."
Nous devons comprendre ce qui nous environne ici-bas avant d'aspirer à la connaissance supérieure. Il est absurde de se passionner pour les mondes supérieurs et les corps subtiles, alors que nous ignorons à peu près tout des véhicules qui nous servent journellement, ainsi que du milieu dans lequel nous agissons. "Homme, connais-toi toi-même" est un sage précepte. L'unique
sécurité consiste à gravir l'échelle échelon par échelon, à ne jamais tenter d'atteindre un degré supérieur avant de nous être "assurés", avant d'être bien en équilibre sur celui où nous sommes. Plus d'une âme peut faire écho dans sa propre expérience au désespoir contenu dans les paroles de Faust.
Imprudemment, il est parti du point le plus élevé. Il a rencontré la déception, mais ne comprend pas encore qu'il doit commencer tout en bas; et il essaie d'évoquer l'Esprit de la Terre:
"Esprit de la Terre, tu es plus près de moi; Déjà je sens mes forces s'accroître, Déjà j'ose me risquer dans le monde, En supportant les peines, aussi bien que les joies, Lutter contre la tempête, et ne pas pâlir Des craquements du vaisseau faisant naufrage. Les nuages s'amoncellent, obscurcissent la lune; La lumière s'éteint, des vapeurs s'élèvent, Des rayons ardents font le tour de ma tête, Je me sens saisi d'un frisson qui m'oppresse. Esprit que j'invoque, tu es autour de moi, Je te sens tout près, manifeste-toi! Mon coeur s'abandonne à toi, Parais, dût-il m'en coûter la vie!"
Comme nous l'avons dit dans la "Cosmogonie Rosicrucienne" et ailleurs où nous avons répondu à une question (Questions et Réponses I, nÝ 116) concernant le rituel Latin dans l'Eglise Catholique, un mot est un son. S'il est correctement prononcé - et peu importe par qui - il a une influence contraignante sur l'intelligence qu'il représente, et le mot donné à chaque degré d'Initiation donne à l'homme l'accès à une sphère particulière de vibrations, habitée par certaines classes d'Esprits. Donc, comme le diapason répond à une note de même ton, ainsi, quand Faust prononce le nom de l'Esprit de la Terre, sa conscience s'ouvre à cette toute-pénétrante présence.
Rappelons-nous que l'expérience de Faust n'est pas un exemple isolé ne pouvant se produire que dans des circonstances exceptionnelles. Faust est le symbole de l'âme qui cherche. Vous et moi sommes des "Faust" en un certain sens, car à un degré ultérieur de notre évolution, nous rencontrerons l'Esprit de la Terre, et nous comprendrons le pouvoir de Son nom s'il est correctement prononcé.