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CHAPITRE 11 - L'ANNEAU DU NIEBELUNG - Siegfried, le chercheur de vérité

Nous avons vu que pour être capable d'accéder à la vérité, il est nécessaire de rejeter toutes les limitations de religion, famille, milieu, et tout autre empêchement, mais cette condition renferme encore une autre grande exigence: nous nous attachons à notre religion, à nos amis, à notre famille, par peur de rester seuls. Nous obéissons aux coutumes de peur de suivre les instructions de la voix intérieure qui nous pousse vers des choses élevées, incompréhensibles à la majorité; et, en réalité, la peur est le principal obstacle qui nous empêche d'arriver à la vérité et de la vivre.

Ceci est aussi exposé dans l'Anneau du Niebelung. Wotan ordonne que Brunhilde l'esprit de vérité, soit endormie parce qu'il craint de perdre sa puissance s'il la garde après sa rébellion contre ses limitations et son refus de défendre Hunding. Il prononce son arrêt avec douleur, disant qu'elle doit dormir jusqu'à ce qu'un autre, plus libre que lui vienne l'éveiller."L'amour parfait bannit toute crainte" (I Jean 4:18), et seuls les intrépides sont

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libres d'aimer et de vivre la vérité. C'est pourquoi Brunhilde est endormie sur un roc désolé et, autour d'elle, brûle à jamais un cercle de flammes allumées par Loge, l'esprit trompeur. Nul, sauf l'âme sans entraves et sans peur, ne peut espérer pénétrer à travers ce ce cercle d'aberration (les coutumes) et vivre pour réveiller et aimer l'esprit de vérité, toujours jeune et attirant.

Ainsi, la seconde partie de ce drame mystique se termine par l'abandon de la vérité et le triomphe du conformisme. Le credo est fermement établi sur terre. Siegmund, le chercheur de vérité, est mort vaincu. Sa soeur-épouse, Sieglinde, a aussi payé de sa vie le fait d'avoir partagé ses recherches, et Brunhilde dort peut-être pour toujours. Maintenant, les Walsungs n'ont plus qu'un seul représentant, l'enfant orphelin Siegfried, que sa mère mourante, Sieglinde, a laissé dans la caverne de Mime, le Niebelung.

L'enfant grandit et devient un jeune homme vigoureux, fort comme un géant. Beau comme un dieu, il forme un étrange contraste avec Mime, le vilain Niebelung, un nain qui prétend être son père. Siegfried parvient à peine à le croire, car lorsqu'il regarde autour de lui dans la forêt, il voit que les petits de tous les animaux présentent les mêmes caractéristiques que leurs parents, lui seul diffère de celui qui le désigne comme son fils.

Lorsque, par sa force prodigieuse, il capture un ours et le conduit dans la caverne de Mime, celui-ci est paralysé par la peur, émotion inconnue de Siegfried. Mime, l'un des plus habiles forgerons parmi les Niebelungen, a forgé plusieurs épées pour le jeune géant, mais l'une après l'autre ont été fracassées par le bras puissant qui les maniait. Mime a essayé de forger à nouveau l'épée Nothung, l'enfant de la détresse, qui s'était brisée sur la lance de Wotan dans le combat fatal entre Siegmund et Hunding. Les fragments

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de cette épée avaient été apportés par Sieglinde dans la grotte de Mime, mais aucun lâche ne peut forger ni manier l'épée Nothung, courage du désespoir. Malgré toute son habileté, Mime n'a jamais réussi. Un jour, Siegfried se moque de son incapacité à faire une épée résistante; Mime lui apporte les fragments de Nothung et lui dit que s'il peut la forger, elle lui rendra de grands services. Possédant la qualité primordiale des chercheurs de vérité, l'intrépidité, Siegfried réussit d'une main inexpérimentée ce que Mime n'avait pu accomplir. Il forge à nouveau l'épée magique et est ainsi prêt pour la recherche de la vérité et de la connaissance.

Bien que de longs siècles se soient écoulés depuis qu'Alberich, le Niebelung, avait été forcé d'abandonner l'Anneau comme rançon aux dieux, ni lui ni les siens n'oublient le pouvoir détenu par son possesseur, et le désir de retrouver le trésor perdu demeure toujours aussi vif en eux. En effet, libres et d'essence spirituelle, les humains ne s'habitueront jamais à la perte de leur individualité, exigée sous le régime de l'église. Bien qu'ils puissent, comme Mime, trembler sous l'empire d'une peur insurmontable, ou bien flatter les pouvoirs supérieurs, comme Alberich s'abaissait devant Wotan, ils se souviennent, subconsciemment ou d'une autre façon, de leur héritage spirituel et cherchent à recouvrer leur condition d'êtres libres, sans attache à aucun credo ou autres limitations.

A cette fin, les humains conspirent d'une manière subtile, symbolisée par l'aide que Mime donne à Siegfried pour reforger l'épée brisée par Wotan. Il voit que le jeune chercheur de vérité est sans peur. Il sait que Fafner, l'un des géants qui avait obtenu des dieux l'anneau, couve son trésor sous la forme d'un gigantesque dragon qui inspire une terreur extrême. Il peut à peine croire que quelqu'un vaincra ce monstre, mais il pense que si la chose est possible, le jeune géant Siegfried est le seul à pouvoir accomplir cet

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exploit. Il a en effet été dit que celui qui réussirait à reforger Nothung tuerait le dragon. Mime a foi dans sa ruse et il espère que si Siegfried tue le monstre, lui, Mime, pourra obtenir l'Anneau du Niebelung et devenir le maître du monde. Cette légende contient une très profonde signification spirituelle; principalement celle de la nature inférieure manoeuvrant dans le but d'utiliser le moi supérieur pour ses vils desseins personnels. Siegfried (celui qui gagne la paix par la victoire), est le moi supérieur à ce degré du pèlerinage où il est laissé seul, sans parents ni amis, où il découvre que cette enveloppe de limon terrestre symbolisée par Mime ne fait pas partie de lui mais est de race et de lignée différentes, où il est prêt à reprendre ses recherches de la vérité commencées dans des vies précédentes, comme le firent Siegmund et Sieglinde, dont il a hérité l'indomptable courage qui ne connaît ni la crainte, ni la défaite.

Mais, bien que l'âme qui cherche puisse abandonner le monde, comme le fit Herzleide qui donna naissance à Parsifal, le chercheur de vérité, dans une épaisse forêt, et comme Sieglinde qui mit au monde Siegfried dans la caverne de Mime, la nature inférieure suit et tente d'utiliser le pouvoir de l'esprit à des fins matérielles. Hélas, combien, désespérés, ont abandonné les églises à cause du credo, comme Siegmund abandonna Wotan. Ils ont acquis une certaine connaissance des choses supérieures, puis en ont mésusé en employant leurs pouvoirs divins sous forme d'hypnotisme ou de suggestion mentale pour s'attirer les biens de ce monde, cherchant plutôt les biens terrestres qui nous enchaînent plutôt que les trésors célestes qui libèrent l'âme. Jamais nous n'avons vécu un siècle où cette phase du grand mythe ne se soit manifestée avec tant de force qu'actuellement. Des milliers d'êtres personnifient en eux-mêmes Siegfried et Mime, le Docteur Jekyll et Mr. Hyde.

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Comme Siegfried, ils se sont éveillés à une compréhension plus ou moins grande des pouvoirs de l'esprit, de leur nature divine et de ses attributs, mais la partie inférieure de leur nature, représentée par Mime, désire toujours profiter des biens matériels.

Même si nous qualifions de Chrétienne ou d'un autre nom l'utilisation de ces pouvoirs divins, ce n'est pas la science de l'âme. Nous devrions être honnêtes envers nous-mêmes et reconnaître le fait que Lui, la véritable incarnation du pouvoir Christique d'attraction, n'avait pas une place où reposer Sa tête, et qu'Il refusa toujours d'utiliser ce pouvoir pour son propre compte. Même devant la mort, Il s'abstint, et on a dit de Lui qu'Il sauvait les autres, mais qu'Il ne pouvait pas (ne voulait pas) se sauver lui-même, parce que la Loi du Sacrifice est plus élevée que la Loi de (Soi-)conservation: "Que servirait à un homme de gagner le monde entier s'il perdait son âme?" (Marc 8:36).

A partir du moment où nous suivons sérieusement le sentier, la nature inférieure est condamnée en dépit de toutes ses astuces pour se sauver. Et quand Mime envisage d'envoyer Siegfried à la rencontre du dragon Fafner, l'esprit du désir, il scelle son propre destin, car lorsque l'âme surmonte le désir des possessions terrestres, nous mourons au monde, bien que nous puissions encore y vivre et y accomplir notre travail. Nous sommes alors dans le monde, mais non pas du monde.

Conduit par Mime, Siegfried trouve le géant Fafner montant la garde devant la caverne où il a caché le trésor des Niebelungen. La nature inférieure incite toujours la nature supérieure à rechercher les richesses matérielles du monde, essayant par ce moyen d'obtenir une situation et la puissance dans la société. Hélas! cette soif de richesse et de pouvoir n'est que trop fréquente. Nous sommes tous semblables à Mime, prêts à risquer nos vies pour la recherche de

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l'or. Bien que Mime tremble à la seule pensée d'approcher cet effroyable dragon, il continue à comploter, sachant que lorsque l'Ego, représenté par l'Anneau du Niebelung, est tellement empêtré dans les filets de la matérialité que toutes ses énergies sont dirigées par la nature inférieure, on peut dire que le corps le possède, et dans cet état les pouvoirs que peut atteindre le corps sont sans limites. Mais Siegfried, le vaillant chercheur de vérité, après avoir vaincu le dragon représentant la nature-désir, tue également Mime, symbole du corps dense.

Libéré de l'enveloppe mortelle, l'Esprit est capable de comprendre le langage de la Nature, et sent intuitivement où est cachée la vérité représentée par Brunhilde, la Valkyrie, et, suivant cette intuition qui, dans le mythe, prend la forme d'un oiseau, il se dirige vers le rocher encerclé de feu pour éveiller et courtiser la belle dormeuse. Mais bien que nous puissions entrer dans le royaume où réside la vérité en quittant notre corps dense, le sentier n'est nullement libre, car Wotan, gardien du credo, barre le chemin à Siegfried avec sa lance et tente de le dissuader ou de décourager le chercheur indépendant. Cependant, le pouvoir du credo, représenté par la lance de Wotan, a été affaibli par le marché avec les géants, autrement dit quand il a fait appel au côté inférieur de la nature de l'homme, car en témoignage de cet affaiblissement, des caractères magiques ont été taillés sur le manche de la lance. Celle-ci est donc aisément brisée en deux au premier choc de Nothung, le courage du désespoir.

Lorsque le chercheur de vérité est parvenu à ce degré, plus rien ne peut contrecarrer ses recherches. Que l'opposition provienne de démons tels que Fafner ou de dieux comme Wotan, il renverse tous les obstacles par son énergie, car il n'a qu'un seul désir au monde, qu'une insatiable soif: connaître la vérité. Ainsi, après avoir brisé la lance de Wotan, il s'élance, guidé par l'oiseau de l'intuition, jusqu'au cercle de flammes cachant

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Brunhilde, l'esprit de vérité, endormie. La vue des flammes d'illusion et d'égarement de Loge ne l'intimide pas. Il fonce hardiment au travers et ô surprise! là se trouve ce qu'il a désiré ardemment durant de nombreuses vies. En s'inclinant, il soulève Brunhilde de ses bras vigoureux mais tendres, et, par un baiser fervent, réveille l'esprit de vérité de son long sommeil séculaire.

 

Chapitre 12