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CHAPITRE 16 - TANNHÄUSER - Les troubadours, initiés du Moyen-Âge

A sa sortie de la grotte de Vénus, l'un des premiers sons qui accueillirent Tannhäuser fut le chant d'une troupe de pèlerins se rendant à Rome pour obtenir le pardon de leurs péchés, et ceci éveille en lui un accablant sentiment de sa propre culpabilité. Il s'agenouille et s'écrie, profondément contrit:

"Louange à toi, ô Tout-Puissant, Grands sont les miracles de ta Grâce. Le sentiment du péché me tourmente; son fardeau est trop lourd pour moi. Je n'ai pas la paix, ne trouve pas de repos Tant que de toi je n'ai reçu le pardon."

Tandis que le découragement l'oppresse et qu'il se sent condamné à errer seul et malheureux de par le monde à cause de son amour impie pour Vénus, les troubadours viennent à sa rencontre, le reconnaissent et s'efforcent de le persuader de les accompagner au Château de Wartburg mais, comme nous l'avons déjà dit, c'est son amour passionnel pour Elisabeth qui l'attire en ces

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lieux, aussi il n'ose l'approcher. Wolfram von Eschenbach, comme dernier argument, apprend à Tannhäuser qu'Elisabeth l'aime. Elisabeth n'avait plus assisté aux tournois de chant depuis le départ de Tannhäuser, et Wolfram von Eschenbach, l'un des plus beaux et des plus purs personnages de l'histoire médiévale, essaie d'assurer le bonheur d'Elisabeth en lui ramenant Tannhäuser, bien qu'il l'aime et se brise le coeur en agissant de la sorte. Entendant cela, la passion enflamme de nouveau l'âme de Tannhäuser, et il chante:

"Ah! tu me réjouis encore, Monde rayonnant que j'ai voulu fuir. Le ciel me sourit, la prairie est en fleurs; C'est le printemps avec ses sons enchanteurs qui apaise mon chagrin. Un rayon de splendeur Illumine mon âme. O joie, c'est elle!"

Elisabeth, le rencontrant au château, lui dit:

"Ce que j'aimais avait disparu: J'avais perdu la paix et la joie Depuis que j'avais entendu tes chants. J'ai connu la souffrance et la félicité, Et depuis que tu as quitté ce lieu, La paix de mon coeur s'en est allée. Nul ménestrel n'a pu me rendre ma joie; Tous les chants me semblaient ternes et mornes. Dans mon sommeil, je me sentais angoissée; Eveillée, je méditais mes tristes illusions. Oh! dis-moi, que m'as-tu donc fait?"

Et Tannhäuser de répondre:

"C'est l'amour qui t'inspire ce doux témoignage, C'est sa magie qui a touché ma harpe; L'amour t'a parlé à travers mon chant, C'est lui qui m'amène vers toi."

Elisabeth avoue alors:

"O heure bénie de notre rencontre, ô pouvoir béni de l'amour!

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enfin je puis t'accueillir; Tu ne partiras plus à l'aventure. Maintenant que renaît la vie, Les nuages de tristesse se dissipent Aux rayons du soleil de la joie."

Ainsi, Elisabeth a éveillé l'amour dans le coeur des deux ménestrels, Wolfram et Tannhäuser, mais la différence de ces deux amours se fera sentir par la manière dont chacun interprète le thème dans le tournoi de chant qui se déroule au second acte. Le seigneur de Wartburg ouvre le concours par ces paroles:

"Comme aux temps de la guerre, où nos épées Combattaient pour l'honneur des chevaliers, Ainsi, ménestrels qui avez lutté pour la vertu, Soutenez la vraie foi par vos chants et vos harpes, Préparez-vous, entonnez un chant nouveau: Décrivez le véritable amour, afin Que nous sachions le reconnaître, Et celui qui le plus noblement le fera. Elisabeth lui remettre sa récompense."

Dans ces derniers vers, nous découvrons la véritable signification de la mission de la chevalerie et des troubadours. C'était le devoir des chevaliers de faire la guerre, de défendre par l'épée ceux qui en avaient besoin, de lutter vaillamment pour les faibles. Dans la mesure où le chevalier observait le code de l'honneur en vogue, défendait le faible et restait loyal envers ses amis comme ses ennemis, il apprenait les leçons du courage physique et moral, indispensable à la croissance de l'âme.

Quiconque prend le sentier du développement spirituel est aussi un chevalier de haute naissance, et il importe qu'il comprenne la nécessité de posséder les vertus exigées des chevaliers d'autrefois, car sur le sentier spirituel il y a également des dangers et des circonstances où le courage physique est demandé. L'Esprit, par exemple, ne peut parvenir à la libération sans inconvénients

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physiques. La maladie accompagne généralement la croissance de l'âme à un degré plus ou moins grand, et il faut du courage pour endurer les souffrances liées à cette acquisition pour laquelle nous combattons tous, sacrifiant ainsi le corps à l'âme. La mission des ménestrels consistait à développer ce courage et aussi à inculquer les plus hautes vertus. Tous les troubadours avaient donc ce don de la poésie qui nous met en contact avec les vérités spirituelles les plus élevées de la Nature, que l'humanité ordinaire ne ressent pas. De plus, de nombreux troubadours du Moyen Âge étaient eux-mêmes des Initiés, ou peut- être des frères lais. C'est pourquoi leurs paroles étaient souvent des perles de sagesse. On les considérait comme des instructeurs, comme des sages, et ils étaient les amis de la véritable noblesse.

Il y avait naturellement des exceptions, cependant Tannhäuser n'était pas de celles-là. Nous verrons qu'il avait l'âme noble en dépit de ses fautes, et en fait, nous devrions nous souvenir que nous sommes tous des Tannhäuser avant de devenir des Wolfram. Nous répondons tous à la définition de l'amour par Tannhäuser avant de parvenir à la conception spirituelle de Wolfram, telle qu'elle est présentée dans le concours. Les noms sont tirés au sort pour savoir qui commencera l'épreuve, et celui de Wolfram apparaît sur le premier bulletin. Il commence ainsi:

"En considérant cette noble assemblée, comme le coeur s'emplit de joie à cette vue. Tous ces héros vaillants, sages et aimables, comme de belles forêts de verdure et fraîcheur. A leur côté, charmantes et vertueuses, Voici une guirlande de dames et demoiselles. Leur gloire à toutes éblouit le spectateur. Mon chant se tarit à cette rare vision; Je lève mon regard sur celle dont la splendeur Rayonne dans ce ciel d'une douce lueur. En contemplant ce tendre et doux rayonnement, Mon coeur se recueille en prière et en rêve sacré.

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Et voici: la source de tout délice et pouvoir Est alors révélée à mon âme attentive. De ses profonds abîmes découle toute joie, Tendre baume qui guérit toute affliction. Puissé-je ne jamais ternir ses eaux limpides, Ni oser les troubler par de pervers désirs. Je veux t'adorer de mon âme recueillie, Vivre et mourir pour toi est le voeu de mon coeur. C'est donc ainsi, devant votre noble assemblée, Que je conçois le tendre et véritable amour."

A la fin du chant de Wolfram, Tannhäuser semble sortir en sursaut d'un rêve. Il se lève et chante:

"Moi aussi, j'ai bu à cette source de plaisir; J'ai connu, Wolfram, ce que tu as connu. Qui oserait prétendre ignorer ses eaux? A moins que le désir ne consume mon âme, Je ne saurais jamais m'approcher de ses bords. C'est une ardente soif que je dois apaiser; A pleines gorgées, je me délecte de l'extase Qui rafraîchit mon coeur et me redonne vie. O source de joie, laisse-moi te posséder, La crainte et le doute devant toi s'envoler; Que des transports ineffables me ravissent! C'est pour toi seule que mon coeur veut battre, Que je brûle du désir de détenir cette splendeur. Je te dis, Wolfram, c'est ainsi que je décris Ce que j'ai éprouvé du véritable amour."

Nous avons ici une fidèle description des deux extrêmes de l'amour, celui de Wolfram étant l'amour de l'âme pour l'âme, Tannhäuser exprimant l'amour des sens. L'un est l'amour qui cherche à donner, l'autre demande la possession afin de recevoir. Ce n'est que le début du tournoi, mais ces définitions étant les premières données par les deux principaux interprètes de l'amour, il est utile de noter que Wolfram von Eschenbach défend un amour nouveau et plus beau qui remplacera la conception primitive. Même de nos jours, malheureusement, on entretient l'idée que la possession est la signature de l'amour. Ceux qui

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croient à la renaissance en des sexes alternés devraient, puisque l'âme est bissexuelle et que nos corps contiennent des organes rudimentaires appartenant au sexe opposé, être convaincus que chaque être humain doit obtenir, en toute justice, indépendamment de la polarité de son corps dense, les mêmes privilèges que l'autre.

 

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