"MÉDITATIONS SUR LES 22 ARCANES MAJEURS DU TAROT"
Les tarots : elles sont une sorte de résumé de toutes les traditions ésotériques occidentales; alchimie, Kabbale, l'astrologie, y sont contenues; elles peuvent être lues comme un livre; chaque carte est une sorte de hiéroglyphe, qui correctement interprété peut révéler les secrets de la science éternelle (arcanes majeurs uniquement).
La Papesse (arc.2), c'est le deuxième arcane majeur des Tarots. Elle représente l'expérience mystique transformée en savoir. Le premier arcane, le Bateleur "ose", il est debout. La Papesse sait, elle est assise. C'est la transformation d'oser en savoir. La sagesse a bâti sa maison, Elle a dressé ses sept colonnes (Proverbes, 9,1) "Le Bateleur (arc.1) est l'arcane de la génialité intellectuelle et cordiale, l'arcane de la vraie spontanéité. La concentration sans effort et la perception des correspondances en accord avec la loi d'analogie sont les implications principales de cet arcane de la fécondité spirituelle. C'est l'arcane de l'acte pur d'intelligence. Mais l'acte pur est comme le feu ou le vent : il parait et disparaît, et, s'étant épuisé, il fait place à un autre acte. "Le vent souffle où il veut, et tu entends le bruit ; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme qui est né de l'Esprit" (Jean III,8) L'acte pur est en lui-même insaisissable, seule sa réflexion le rend perceptible, comparable et compréhensible ; en d'autres termes, c'est grâce à la réflexion que nous en prenons conscience. |
La réflexion de l'acte
pur produit sa représentation intérieure, celle-ci sera retenue
par la mémoire, la mémoire sera la source du communicable par
le moyen de la parole et la parole communicable sera fixée par
le moyen de l'écriture, ce qui produit "le livre".
Le deuxième Arcane "La Papesse"(arc.2) est celui de la réflexion de l'acte pur du premier Arcane jusqu'à ce qu'il devienne "Livre". Il nous enseigne comme le Feu et le Vent deviennent Science et Livre. En d'autres termes, comment "la Sagesse bâtit sa maison". Comme nous venons de le montrer, on ne prend conscience de l'acte pur d'intelligence que par le moyen de sa réflexion. Il nous faut un "miroir" intérieur afin d'être conscient de l'acte pur ou afin de savoir "d'où il vient et où il va". Le souffle de l'Esprit - ou acte pur d'intelligence - est bien un événement, mais il ne suffit pas, à lui seul, pour que nous en prenions conscience. La "conscience-science" est la résultante de deux principes - du principe actif agissant et du principe passif reflétant. Pour "savoir" d'où le Souffle vient et où il va, il faut l'Eau qui le reflète. C'est pourquoi l'entretien du Maître avec Nicodème, auquel nous nous sommes référés, énonce la condition absolue de l'expérience consciente du Souffle Divin, - ou Royaume de Dieu - : "En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne n'ait de l'Eau et de l'Esprit, il ne peut entrer dans le Royaume de Dieu) Jean III,5) "En vérité, en vérité" - le Maître repère le mot "vérité" en une formule mantrique (c'est à dire magique) de la réalité de la conscience. |
Il énonce par ces mots que la pleine conscience de la vérité résulte de la vérité insufflée et de la vérité reflétée. La conscience réintégrée, qui est le Royaume de Dieu, présuppose deux renouvellements d'une portée comparable à la naissance dans les deux éléments constitutifs de la conscience - l'Esprit actif et l'Eau reflétante. L'Esprit doit devenir Souffle divin au lieu de l'activité arbitraire personnelle, et l'Eau doit devenir un miroir parfait du Souffle divin au lieu d'être agitée par le trouble de l'imagination, des passions et des désirs personnels. La conscience réintégrée doit naître de l'Eau et de l'Esprit, parés que l'Eau sera redevenue Vierge et que l'Esprit sera devenu le Souffle divin ou Saint-Esprit. La conscience réintégrée naîtra donc à l'intérieur de l'âme humaine d'une manière analogue à la naissance ou à l'incarnation historique du VERBE : Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine La re-naissance de l'Eau et de l'Esprit que le Maître enseigna à Nicodème, est le rétablissement de l'état de conscience non déchue où l'Esprit fut le Souffle divin et où ce Souffle fut reflété par la Nature Virginale. Voilà le "YOGA" chrétien. Son but n'est pas la délivrance radicale ("Mukti") c'est à dire l'état de conscience sans souffle et sans réflexion, mais bien celui de la réaction complète et parfaite à l'action divine - le baptême de l'Eau et de l'Esprit. Ces deux espèces de baptême opèrent la réintégration des deux éléments constitutifs de la conscience comme telle - de l'élément actif et de l'élément passif. Il n'y a pas de con-science sans ces deux éléments et la suppression de cette dualité au moyen d'une méthode pratique quelconque inspirée par l'idéal de l'unité ("Advaita" non dualité) doit nécessairement aboutir à l'extinction non pas de l'être mais bien de la conscience, mais son retour à l'état pré-natal embryonnaire cosmique.
Par contre voici ce que dit Plotin sur la dualité sous-jacente à toute forme et à tout degré de conscience, c'est à dire sur le principe actif et son miroir : "Mais si le miroir est absent ou n'est pas comme il faut, l'image ne se produit pas, quoique l'action existe : ainsi lorsque l'âme est dans le calme, elle reflète les images de la pensée et de l'intellect ; mais lorsqu'elle est agitée par le trouble produit dans l'harmonie du corps, la pensée et l'intellect pensent sans image et l'acte d'intelligence a lieu sans se refléter "(Plotin, I, Livre IV, chap. X) C'est ici la conception platonicienne de la conscience ; elle peut, si on l'approfondit, servir d'introduction à l'entretien nocturne du Maître avec Nicodème sur la réintégration de la conscience ou sur le but du "yoga" chrétien. Le "yoga" chrétien n'aspire pas à l'unité d'emblée, mais bien à l'unité de deux. Il est très important de se rendre compte de l'attitude que l'on a prise envers le problème infiniment grave de l'unité et de la dualité. Car ce problème peut ouvrir la porte des mystères vraiment divins et c'est lui aussi qui peut nous la fermer.. à jamais peut-être ? Tout dépend de sa compréhension. Nous pouvons nous décider pour le monisme et nous dire qu'il n'y a ni ne peut y avoir - qu'une seule substance, un seul être.
Nous pouvons aussi nous décider - nous appuyant sur une considérable expérience historique et personnelle - pour le dualisme et nous dire qu'il y a deux principes dans le monde - le bien et le mal, l'esprit et la matière - et que, tout incompréhensible que soit au fond cette dualité, il faut l'admettre comme un fait incontestable. Nous pouvons encore nous décider en faveur d'un troisième point de vue, à savoir celui de l'amour comme principe cosmique qui présuppose la dualité et postule son unité non substantielle, mais essentielle. Ces trois points de vue se trouvent à la base du Vedanta ("Advaïta") et du Spinozisme (Monisme), du Manichéisme et de certaines écoles gnostiques (dualisme), et du courant judéo-chrétien (Amour). Pour donner plus de clarté et de précision à ce problème ainsi que pour l'atteindre plus profondément - nous prendrons pour point de départ ce que dit du nombre deux Louis-Claude de Saint-Martin, dans son livre Des Nombres : "Or, pour montrer comment ils (les nombres) sont liés à leur base d'activité, commençons par observer la marche de l'UNITE et du nombre DEUX. "Lorsque nous contemplons une vérité importante, telle que l'universelle puissance du Créateur, sa majesté, son amour, ses profondes lumières ou tel autre de ses attributs, nous nous portons tout entiers vers ce suprême modèle de toutes chose ; toutes nos facultés se suspendent pour nous remplir de lui, et nous ne faisons réellement qu'un avec lui.
Voilà l'image active de l'unité, et le nombre UN est dans nos langues l'expression de cette unité ou de l'union indivisible qui, existant intimement entre tous les attributs de cette unité, devrait également exister entre elle et toutes ses créatures de production. Mais si, après avoir porté toutes nos facultés de contemplation vers cette source universelle, nous reportons nos yeux sur nous-mêmes et que nous nous remplissions de notre propre contemplation, de façon que nous nous regardions comme le principe de quelques-unes des clartés ou des satisfactions intérieures que cette source nous a procurées, dès l'instant nous établissons deux centres de contemplation, deux principes séparés et rivaux, deux bases qui ne sont pas liées ; enfin, nous établissons deux UNITES avec cette différence que l'une est réelle et l'autre apparente" (page 2) - Puis il ajoute : - "Mais diviser l'être par le milieu, c'est le diviser en deux parties, c'est faire passer l'entier à la qualité de moitié ou de demi, et c'est là la vraie origine de l'illégitime binaire ..." (page 3)..."Cet exemple est suffisant pour nous montrer la naissance du nombre deux, pour nous montrer l'origine du mal..." (page 3) La dualité signifie donc l'établissement de deux centres de contemplation, de deux principes séparés et rivaux, l'un réel et l'autre apparent, et là est l'origine du mal, qui n'est que l'illégitime binaire. Est-ce là la seule interprétation possible de la dualité, du binaire, du nombre DEUX ? N'existe-t-il pas un binaire légitime ? Un binaire qui ne signifie pas la diminution de l'unité, mais bien son enrichissement qualitatif ? Si nous revenons à la conception de Saint Martin de "deux centres de contemplation" qui sont "deux principes séparés et rivaux", nous pouvons nous demander s'ils doivent nécessairement être séparés et rivaux. L'expression même "con-templation" choisie par Saint martin, ne suggère-t-elle pas l'idée de deux centres qui contemplent simultanément comme le feraient deux yeux qui seraient placés verticalement l'un au dessus de l'autre, les deux aspects de la réalité, l'aspect phénoménal et l'aspect nouménal ? et que c'est, grâce à ces deux centres ou "yeux", que nous sommes - ou pouvons être - conscients "de ce qui est en haut et de ce qui est en bas" ? Pourrait-on, par exemple, énoncer la formule principale de la Table d'Emeraude si on n'avait qu'un "oeil" ou centre de contemplation au lieur de deux ? Or le Sepher Jetzirah dit : "Deux,c'est le souffle de l'Esprit : en lui sont gravées et sculptées les vingt-deux lettres qui ne forment cependant qu'un souffle unique". En d'autres termes, deux, c'est le Souffle et sa Réflexion, c'est l'origine du "Livre de la Révélation" qui est le monde aussi bien que l'Ecriture Sainte. Deux, c'est le nombre de la con-science du souffle et de ses lettres "gravées et sculptées".
C'est le nombre de la réintégration de la conscience, enseignée par le Maître à Nicodème, par l'Eau virginale et par le Souffle de l'Esprit Saint. Deux est tout cela, et il est plus encore. Non seulement le nombre deux n'est pas nécessairement "l'illégitime binaire" décrit par Saint-Martin, mais encore il est le nombre de l'Amour ou la condition fondamentale de l'amour qu'il présuppose et postule nécessairement. Car l'amour est inconcevable sans l'Aimant et sans l'Aimé, sans MOI et TOI, sans l'Un et l'Autre. Si Dieu n'était qu'Un et s'il n'avait pas créé le Monde, il ne serait pas le Dieu révélé par le Maître, le Dieu dont Saint Jean dit : "Dieu est amour ; et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui" (I Jean IV, 16) Il ne le serait pas, parce qu'il n'aimerait personne sauf soi-même. Comme c'est impossible au point de vue du Dieu d'Amour, Il est révélé à la conscience humaine comme la Trinité éternelle de l'Aimant qui aime, de l'Aimé qui aime et de leur Amour qui les aime : Père, Fils et Saint-Esprit. N'éprouvez-vous pas aussi un sentiment de malaise chaque fois que vous rencontrez une des formules énonçant les attributs supérieurs des Personnes de la Sainte Trinité, telle que "Pouvoir, Sagesse, Amour" ou "Etre, Conscience, Béatitude" (Sat - Chit - Ananda) ? Pour moi, j'éprouvais toujours ce malaise, et ce n'est que plus tard, beaucoup d'années plus tard, que j'en ai compris la cause. C'est parce que Dieu est amour, qu'il n'admet aucune comparaison, qu'Il surpasse tout - et le pouvoir, et la sagesse et même l'être. On peut, si l'on veut, parler du "pouvoir de l'amour" de "la sagesse de l'amour" et de la "vie de l'amour" pour faire une distinction entre les trois Personnes de la Sainte Trinité, mais on ne peut pas mettre sur le même plan l'amour d'un côté et de l'autre, sagesse, pouvoir, être. Car Dieu est amour et c'est l'amour, ce n'est que l'amour, qui attribue par sa présence la valeur au pouvoir, à la sagesse et à l'être même. Car l'être sans amour est dépourvu de toute valeur. Etre sans amour ce serait la peine la plus épouvantable - c'est l'enfer même !
L'amour surpasse donc l'être ? Comment en douter après la révélation, il y a 19 siècles, de cette vérité par le Mystère du Calvaire ? "Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut" - et le sacrifice accompli par amour du Dieu Incarné de sa vie, de son être terrestre, n'est-ce pas la démonstration de la supériorité de l'amour sur l'être ? Et la Résurrection, n'est-elle pas la démonstration de l'autre aspect du primat de l'amour sur l'être, c'est à dire que l'amour est non seulement supérieur à l'être mais encore qu'il le génère et le rétablit ? Le problème du primat de l'être ou de l'amour remonte à l'antiquité. PLATON l'avait évoqué lorsqu'il disait : "Tu avoueras, je pense, que le soleil donne aux choses visibles non seulement le pouvoir d'être vues, mais encore la génération, l'accroissement et la nourriture, sans être lui-même génération...Avoue aussi que les choses intelligibles ne tiennent pas seulement du bien leur intelligibilité, mais tiennent encore de lui leur être et leur essence, quoique le bien ne soit point l'essence, mais fort au-dessus de cette dernière en dignité et en puissance". (La République, 509 B) Et sept siècles plus tard, SALLUSTE, l'ami de l'Empereur Julien, dira : "Si la Cause première était âme, tout serait animé ; si elle était intelligence, tout serait intelligent ; si elle était être, tout devrait participer de l'être. Or, comme certains se sont aperçu que toute chose participait de l'être, ils ont pensé que l'être était la cause première. Si donc les êtres n'étaient seulement que des êtres et qu'ils ne fussent pas bons, leur assertion pourrait être vraie. Mais si les êtres n'existent qu'à cause de la bonté et s'ils participent du bien, il devient nécessaire que le premier principe soit supérieur à l'être et qu'il soit bon par lui-même. En voici la plus grande des preuves. Les âmes généreuses, en effet, méprisent en vue du bien de persister dans l'être, lorsqu'elles choisissent pour leur patrie, leurs amis et la vertu de s'exposer au danger". (Des Dieux et du Monde, chap. V)
Le primat du Bien (le Bien étant la notion philosophique abstraite de la réalité de l'amour) par rapport à l'être, a été aussi traité par PLOTIN (Ennéades, VI, 7, 23, 24) par PROCLUS (Théologie de Platon, II, 4) et par DENYS l'AEROPAGITE (Noms divins, 4). Saint BONAVENTURE (In Hexaemeron, X, 10) a essayé de concilier ce primat platonicien du Bien avec le primat mosaïque de l'Etre : "Ego sum qui sum" ( (Exod, III, 14), affirmé d'abord par Jean DAMASCENE, puis par Saint THOMAS D'AQUIN. Ce dernier déclare qu'entre tous les noms divins, il en est un qui est éminemment propre à Dieu, et c'est Qui est, justement parce qu'il ne signifie rien d'autre que l'être même. Etienne GILSON, en accord avec St Thomas, Jean Damascène et Moïse, écrit que l'être est "le principe d'une fécondité métaphysique inépuisable ... Il n'y a qu'un Dieu et ce Dieu est l'être, telle est la pierre d'angle de toute philosophie chrétienne et ce n'est pas PLATON, ce n'est même pas ARISTOTE, c'est MOISE qui l'a posée". - (L'esprit de la philosophie médiévale, chap. III, p.51, Paris, Vrin, 1948). Quelle est donc la portée de l'adoption, soit du primat de l'être, soit de celui du bien, ou selon St JEAN, de l'amour ? La notion d'être est neutre au point de vue de la vie morale. Il n'est pas besoin d'avoir l'expérience du Bien et du Beau pour y parvenir. L'expérience seule du règne minéral suffirait déjà pour arriver à la notion moralement neutre de l'être. Car le minéral est. C'est pourquoi la notion d'être est objective, c'est-à-dire qu'elle postule, en dernière analyse, la chose sous-jacente à toutes les choses, la substance permanente derrière tous les phénomènes.
Je vous invite, à fermer les yeux et à vous rendre compte exactement de l'image qui accompagne cette notion dans votre imagination intellectuelle. N'y trouverez-vous pas l'image vague d'une substance sans couleur ni forme et très semblable à l'eau de la mer ? Mais quelle que soit votre représentation subjective de l'être comme tel, la notion d'être est moralement indifférente et est, par conséquent, essentiellement naturaliste. C'est quelque chose de passif qu'elle implique - une donnée ou un fait immuable. Par contre lorsque vous pensez à l'amour dans le sens johannite ou à l'idée platonicienne du bien, vous vous trouvez en face d'activité essentielle, qui n'est point neutre au point de vue de la vie morale, mais qui en est le coeur même. Et l'image qui accompagne cette notion de pure actualité sera, soit celle du feu soit celle du soleil (PLATON compare l'idée du Bien au Soleil, et sa lumière à la vérité), au lieu de l'image d'un liquide indéterminé. T'HALES et HERACLITE ont eu ces deux conceptions différentes. L'un voyait dans l'eau l'essence des choses et l'autre la voyait dans le feu. Mais ici, en premier lieu, c'est que l'idée du BIEN et son sommet - l'AMOUR - est due à la conception du monde comme d'un processus moral, tandis que l'idée de l'Etre et son sommet - le Dieu qui est - est due à la conception du monde comme celle d'un fait naturel. L'idée du Bien (et de l'Amour) est essentiellement subjective. Il faut absolument avoir eu l'expérience de la vie psychique et spirituelle pour être à même de la concevoir, tandis que - comme nous l'avons déjà signalé - l'idée de l'être, étant essentiellement objective, ne présuppose qu'un certain degré de l'expérience extérieure du règne minéral, par exemple. La conséquence du choix entre ces deux - je ne dirais pas, points de vue, mais plutôt attitudes d'âme - consiste surtout en ce que le caractère même de l'expérience de la mystique pratique qui en résulte dérive de ce choix.
Celui qui choisira l'Etre aspirera à l'être véritable, et celui qui choisira l'Amour aspirera à l'Amour. Or, on ne trouve que ce que l'on cherche. Le chercheur de l'être véritable arrivera à l'expérience du repos de l'être et, comme il ne peut pas exister deux êtres vrais ("le binaire illégitime" de St Martin) ou deux substances co-éternelles séparées mais seulement un être et une substance, on supprimera le centre de l'"être faux", l'Ahmkara ou l'illusion de l'existence séparée de la substance séparée du "moi". La caractéristique de cette voie mystique est que l'on perd la capacité de pleurer. Un disciple avancé du Yoga et du Vedanta a des yeux secs à jamais, tandis que les Maîtres de la Kabbale, selon le Zohar, pleurent beaucoup et souvent. La mystique chrétienne parle elle aussi du "don des larmes" - comme d'un don précieux de la Grâce divine. Le Maître pleura devant le tombeau de Lazare. Ainsi la caractéristique extérieure de ceux qui choisissent l'autre voie mystique, celle du Dieu d'Amour, est qu'ils ont le "don des larmes". Cela tient à l'essence même de leur expérience mystique. Leur union avec le Divin n'est pas l'absorption de leur être par l'Etre Divin, mais bien l'expérience du Souffle de l'Amour Divin, de l'Illumination par l'Amour Divin et de la Chaleur de l'Amour Divin et l'âme du récipiendaire en éprouve une expérience tellement miraculeuse qu'elle... pleure.
Dans cette expérience mystique le feu se rencontre avec le feu. Rien alors ne s'éteint dans la personnalité humaine, mais, au contraire, tout en elle s'embrase. C'est l'expérience du "binaire légitime" ou de l'union de deux substances séparées dans l'essence unique. Les substances restent séparées pour qu'elles ne soient pas privées de ce qui est le plus précieux dans toute existence : l'alliance libre dans l'amour. Je viens de dire "deux substances" et "une essence". Il faut bien saisir la portée de ces deux termes - substance (substantia) et essence (essentia) dont la distinction exacte s'est presque effacée aujourd'hui. Pourtant jadis, ces deux termes dénotaient deux ordres distincts non seulement d'idées, mais encore d'existence et de conscience même.
PLATON
établit la distinction entre l'einai (être) et ousia
(l'essence). "Etre" signifie chez lui le fait de
l'existence en tant que telle tandis que "essence"
désigne l'existence due aux Idées. "Tout ce qui a
existence a essence par sa participation aux Idées, qui sont les
esssences mêmes. Le terme d'essence ne désignera donc pas pour
nous l'existence abstraite, mais la réalité de l'Idée."
(A. FOUILLEE, la Philosophie de Platon, tome II, pp. 106-107).