- Non, il n'y a pas d'ambulance, Sergent, mais je vais vous conduire là où vous serez soigné.
Jimmie, à ces mots, se retourna, et fut quelque peu étonné. Le Frère Aîné se trouvait tranquillement à ses côtés, ayant sur les lèvres la trace d'un léger sourire.
- Veuillez me suivre tous les deux, je vous prie.
Ils emboîtèrent le pas naturellement, il ne leur vint pas à l'idée de questionner celui dont la voix était si douce et dont l'affabilité semblait contenir une note de pouvoir, d'autorité.
- Prenez la main du sergent, Jimmie, dit le Frère Aîné, qui de son côté lui prit le bras. Jimmie fut émerveillé de voir la rapidité avec laquelle ils voyageaient. Comme il s'en souvint et le raconta plus tard, c'était foudroyant. Ils se trouvèrent sur une belle pelouse, à quelques centaines de mètres d'une grande construction érigée sur le mode grec ancien, avec d'énormes colonnes symétriques aux chapiteaux corinthiens. Une lueur irisée semblait entourer cette sorte de temple; Jimmie n'était pas très certain, au début, de la réalité du phénomène qu'il ne voyait pas de manière continue, et le sergent Strew, lui, semblait sortir d'un rêve, et n'avait pas du tout l'air de l'apercevoir.
Se tenant toujours la main, ils traversèrent la pelouse, montèrent les marches entourant le bâtiment et s'engagèrent alors entre une série de colonnes, interminables, jusqu'à ce que le Frère Aîné ouvrit une porte, et leur fit signe d'entrer.
Après avoir pénétré à son tour, il referma la porte, puis, se tournant vers le sergent Strew qui, vu la perte de son sang, était manifestement défaillant:
- A présent, Sergent, vous devez m'excuser d'avoir attendu si longtemps pour soigner votre blessure.
Il ouvrit une petite armoire et prit sur l'une des tablettes intérieures une petite fiole contenant une substance foncée de même consistance que la vaseline.
- Voyez-vous, Sergent, de ce côté-ci du voile, nous pouvons obtenir des résultats plus rapides. Si vous m'écoutez, vous verrez votre blessure guérir sans laisser la moindre cicatrice.
Se tenant devant le sergent, il prit un peu de pommade au bout de son doigt, et dit:
- Veuillez rester tranquille, Sergent, et concentrer votre pensée sur l'état de votre front avant la blessure. Maintenez cette pensée et imaginez qu'il n'y a jamais eu de blessure.
Il toucha légèrement du doigt le front du sergent. Celui-ci ferma les yeux, crispant le front, comme il s'imaginait devoir le faire lorsqu'on se concentre.
Le Frère Aîné retira alors sa main; au grand étonnement de Jimmie, le front du sergent apparut aussi net et lisse que celui d'un enfant, à part bien entendu, quelques rides, rides produites par les contractions extraordinaires que fit Strew, en essayant d'obéir au commandement de se concentrer.
- Très bien, très bien, dit Jimmie.
Le sergent ouvrit les yeux.
- Votre blessure a disparu. C'est comme s'il n'y en avait jamais eu.
- Vraiment!
Il tâta prudemment, doucement son front.
- Docteur, vous pouvez être sûr, je vous recommanderai comme médecin de première classe. Vous feriez fortune aux Etats-Unis, mais vous êtes un sorcier!
Le Frère Aîné sourit.
- Mon ami, c'est vous-même, votre imagination, le pouvoir de votre volonté qui ont fait cette guérison, et non mon habileté.
Le sergent Strew paraissait mystifié. Furtivement, il tâta encore son front, il doutait de la permanence du changement survenu par sa propre imagination, mais la blessure était bien guérie, aussi poussa-t-il un soupir de soulagement.
- Eh! dit-il, si seulement j'avais connu cela plus tôt! Il se tourna vers le Frère Aîné:
- Vous me certifiez vraiment que je me suis guéri moi-même?
- Parfaitement, la substance avec laquelle je vous ai soigné n'était que pour vous aider à vous concentrer. Vous vous seriez présenté n'ayant qu'un bras, vous auriez pu remplacer le membre manquant avec autant de facilité que ce fût le cas pour votre blessure. La matière, de ce côté-ci, est merveilleusement soumise au pouvoir de la volonté. Et la tâche que je désire vous donner est justement celle d'aller à la rencontre de ceux de vos camarades qui quittent ce bas monde, de les tranquilliser, et de leur expliquer la manière de guérir leurs blessures, et aussi de les éloigner des champs de bataille.
- Pour ceux qui meurent, la guerre est finie, et il est de leur devoir comme de leur privilège d'aider, non pas en combattant, mais en obtenant de faire cesser la lutte, et de détourner leurs pensées de la terre afin de les diriger vers l'avenir et les devoirs qui en résultent.
- Mais...Supposons que les Allemands fassent un raid...Que devrai-je faire? Comment pourrai-je aider à combattre?
- Simplement en refusant de vous battre. Vous n'êtes plus ici sur le plan physique où l'on pouvait vous y contraindre. Les Allemands ne peuvent vous blesser, même s'ils font un raid et s'ils vous environnent. Tout ce que vous avez à faire est d'obéir aux ordres; ignorez les Allemands à moins de connaître leur langue. Alors, votre devoir sera de les aider à cesser le combat, de les guérir, comme il est de votre devoir de secourir vos propres camarades.
- Rappelez-vous bien qu'en agissant ainsi, vous faites le travail du Maître, que son pouvoir, sa force vous environnent, de sorte que rien ne peut vous nuire. Si vous désobéissez, laissez votre colère prendre le dessus et essayez de faire tort à quelqu'un, alors vous pourriez être en difficultés vous-même. En quelques mots, obéissez aux ordres, et vous serez sain et sauf, même si votre travail vous conduit au milieu même de l'armée Allemande. Si, au contraire, vous désobéissez, si vos passions vous entraînent vers la haine et la colère, vous ne vous sentirez pas en sécurité même si vous êtes seul sur une île de l'Océan Pacifique. Comprenez-vous?
Le Frère Aîné était droit comme un soldat au garde-à-vous. Strew très impressionné, réunit les talons et salua en disant:
- Vos ordres seront exécutés, Sir.
- Un instant, Sergent.
Le Frère Aîné sembla réfléchir, il réfléchit pendant une minute environ. La porte s'ouvrit, et un homme en uniforme de soldat canadien parut.
- Vous m'avez appelé, Sir?
- Oui, veuillez aller avec le Sergent Strew, et lui montrer comment nous travaillons. Vous ne serez pas appelé de sitôt en service actif, Sergent, dit le Frère Aîné, s'adressant à notre ami, mais les Allemands sont prêts à entreprendre une nouvelle attaque, et de part et d'autre, beaucoup d'hommes seront tués. Aussi, aurons-nous besoin de tous nos travailleurs et même davantage. Je suis certain que vous ferez de votre mieux: vous leur ferez cesser le combat et tourner leur attention ailleurs dès qu'ils se trouveront de ce côté-ci du voile.
Le sergent Strew et le Canadien saluèrent et sortirent.
Quant à ce qui arriva au sergent, la manière avec laquelle il fut introduit, prit part aux travaux des groupes importants des Aides Invisibles qui tentent de toutes leurs forces d'écarter du Monde un grave désastre, Jimmie l'apprit plus tard. Nombreuses furent les aventures et les choses terrifiantes, bien que, malgré tout, certaines eurent leur côté comique, mais tout ceci est étranger à notre histoire.
Le Frère Aîné, après le départ du sergent, demeura un moment pensif. De son côté, Jimmie attendait qu'il parle. Après quelques minutes, ce fut Jimmie qui, le premier, rompit le silence.
- Vous m'avez déclaré, Monsieur, que certains devoirs m'incombent également?
- Oui, mais les vôtres sont différents de ceux du sergent. Vous devez apprendre le plus possible, car le champ de votre activité ne sera pas ici. Vous devrez retourner sur terre.
- Retourner?
- Oui, vous n'avez pas été tué, mais frappé d'une commotion violente, et lorsque le moment sera venu, on vous renverra à nouveau travailler dans votre propre corps, sur le plan physique. Là, votre très grand privilège sera de raconter, pour autant qu'il est en votre pouvoir, les choses merveilleuse qui vous seront montrées et enseignées ici.
- Mais, si je ne suis pas mort, alors, tout cela n'est-il pas un rêve? Et...Marjorie me disait que j'étais mort... Est-ce que je n'aurais fait qu'imaginer voir Marjorie?
- Non, vous avez réellement vu Marjorie et conversé avec elle, de plus vous êtes vraiment dans l'autre monde, car il n'est pas nécessaire de mourir pour venir ici. Marjorie s'est trompée très naturellement, car le fait est que, pendant quelque temps, on était incertain s'il serait possible de réintégrer assez rapidement votre corps éthérique. Mais votre travail est encore nécessaire sur terre; vous avez mérité cette chance dans des vies précédentes, et comme la nécessité s'est fait grandement sentir, une aide spéciale vous a été donnée. Ni vous, ni Marjorie, n'avez un instant pensé que vous n'étiez atteint d'aucune blessure.
- C'est exact, déclara Jimmie, je songe en effet que je ne suis nullement blessé. Je n'y ai jamais pensé précédemment. Cependant, je me rappelle avoir vu sur le champ de bataille de nombreux morts, comme moi, sans aucune blessure.
- En effet, ils moururent d'une commotion d'obus. C'est cela même qui faillit vous tuer en chassant de votre corps physique le corps vital au point de rompre le cordon d'argent. Cependant, à cause des services que l'on attend de vous, une aide spéciale vous a été donnée, sinon, vous seriez tout à fait mort, comme vous dites; vous seriez de ce côté-ci du voile, sans aucune chance de retour. En raison de l'avance faite sur le Sentier au cours de vies précédentes, du serment de servir, de vos oeuvres, vous avez mérité que l'occasion vous soit donnée de servir davantage. Aussi, lorsque votre corps éthérique fut extériorisé par l'explosion, les particules de votre corps vital furent sauvegardées d'une dissolution complète; et lorsque le temps viendra pour vous de retourner dans votre corps physique qui se trouve actuellement dans un hôpital à l'arrière, vous serez aidé, afin de rapporter avec vous le souvenir de tout ce que vous avez entendu ou vu ici, de manière à travailler dans les meilleures conditions. Durant votre sommeil vous avez vu fréquemment Marjorie et avez parlé avec elle; et vous avez fréquemment voyagé avec elle durant vos rêves. Cette fois-ci, c'était tout différent et il n'est pas étonnant qu'elle se soit trompée.
- Mais...je n'ai jamais rêvé d'elle...cela a toujours été un des grands regrets de ma vie.
- Effectivement. Bien que vous ne rêviez jamais d'elle, vous vous voyiez souvent et avez fait ensemble plusieurs longs voyages, car pendant le sommeil, nous sommes généralement éloignés de notre corps, dans le pays des rêves, mais bien peu de personnes sont à même de ramener le souvenir de leur visite au "Pays des Morts Vivants", et ceux qui commencent à réaliser la chose rapportent très fréquemment des souvenirs mélangés ou altérés. L'une des choses que j'espère vous voir apprendre bientôt, lorsque vous retournerez, c'est de garder votre conscience de ce monde-ci.
- Vous dites que cela peut se faire?
- Certainement, c'est plus facile que cela ne paraît, particulièrement pour les âmes avancées. En effet, je m'étonne constamment de ne pas trouver plus de personnes capables de cette réalisation. Vous avez mérité ce dernier privilège durant vos deux ou trois vies précédentes, et cela ne sera pas pour vous une tâche bien difficile d'acquérir cette faculté.
- Mes deux ou trois dernières vies? Qu'entendez-vous par là? Dois-je comprendre que j'ai déjà vécu précédemment?
- Exactement.
- Où cela?
- Sur terre. Votre dernière vie s'est passée non loin d'ici, c'est-à-dire dans le sud de l'Europe.
- Mais j'ai toujours pensé qu'après la mort, tout était fini, l'on montait au ciel, ou bien...l'on descendait vers l'autre endroit.
- Non! Le plan de l'évolution humaine est bien plus grand et plus sublime que cela. Il est aussi infiniment plus complexe, et à cause du travail énorme à accomplir et du fait que vous pouvez y être de grande utilité, on vous aidera à retourner. Mais, avant, je désire que vous m'accompagniez encore un peu.
Le Frère Aîné fit signe à Jimmie, lui présenta sa main, et sortit, immédiatement suivi du jeune homme. Il y eut une période durant laquelle ils voyagèrent si rapidement que Jimmie ne put apercevoir que quelques paysages, très bas su-dessous d'eux et, en moins d'une minute, ils se trouvèrent dans une chambre pauvrement meublée, où une femme assise près d'une petite table, cousait, tandis que deux petits enfants jouaient par terre auprès d'elle. Pendant qu'elle travaillait, des larmes coulaient le long de ses joues, mais elle demeurait silencieuse, regardant de temps en temps vers la table où se trouvait une lettre ouverte.
Le Frère Aîné se tenait tranquillement dans un coin. Son visage grave exprimait la pitié qu'il ressentait, tandis que Jimmie, se dirigeant vers la table, jetait un coup d'oeil sur la lettre. C'était une annonce polie, mais formelle, du gouvernement: Henri L.E. avait été mortellement blessé au combat.
Instinctivement, il recula, par respect pour une douleur si grande. A ce moment, un homme en uniforme entra par la porte close, il se tenait là, les bras tendus vers sa femme, qui ne prit pas garde à lui. Sur sa tunique, juste au-dessus du coeur, était une petite ouverture ronde, tout le vêtement apparaissait souillé de sang.
- Oh! Emma, dit le soldat, en rompant le silence. Emma, s'écria-t-il encore, d'une voix brisée.
La femme ne répondit pas, elle semblait mal à l'aise, et leva pourtant la tête, comme si elle entendait une voix inespérée. Le plus jeune enfant se traîna vers l'homme en uniforme, poussant de petits cris de bienvenue, qui, au bout de quelques mois d'exercice, auraient très bien pu signifier le familier "Papa". Dans un sanglot, la femme ramassa l'enfant.
- Mon chéri, Papa n'est pas là. Il n'est pas encore de retour.
- L'enfant le voit, déclara le Frère Aîné à Jimmie, mais non la femme, et peut-être cela vaut-il mieux.
-Lorsqu'elle ira ce soir se reposer, dit-il, se tournant vers l'homme en uniforme et lui touchant le bras, elle quittera son corps et sera avec vous jusqu'au moment où elle s'éveillera le matin. Vous vous en souviendrez mais pas elle. Chaque nuit, vous la retrouverez et pourrez lui parler, vous pourrez ainsi l'aider à supporter son fardeau. Entre temps, rappelez-vous que votre séparation n'est que temporaire, vous la verrez chaque nuit, elle et les enfants, alors qu'ils seront endormis. Vous voyez, votre départ n'est pas définitif. C'est elle qui a la peine la plus lourde à supporter.
L'homme tendit la main.
- Je vous remercie, Monsieur, vous avez enlevé un terrible poids de mon coeur.
Le Frère Aîné se dirigea vers Jimmie. Tous deux quittèrent les lieux, en glissant selon le moyen familier, passant au travers des murs comme si ceux-ci étaient inexistants. Au dehors, ils se trouvèrent aux environs d'une grande ville, et le Frère Aîné se dirigea vers une rue ombragée, avançant lentement, marchant presque. Il n'y avait pas grand monde dans cette rue, et ceux qu'ils rencontraient ne prêtaient aucune attention à eux, ne les voyant pas. Au début, Jimmie évita assez facilement les piétons de la chaussée. Le Frère Aîné, lui, n'y prêtait pas plus attention que les passants ne se souciaient de lui, et il les traversait comme s'ils n'étaient que des ombres. Jimmie l'observa, essaya aussi, et finalement constata à sa grande satisfaction que cela ne causait aucun inconvénient, c'était même une chose tout à fait rationnelle.
- Je viens de vous montrer quelques-unes des souffrances causées par la guerre, non pas que vous n'en ayez aucune connaissance, mais simplement pour vous faire voir que la grande douleur provoquée par le conflit provient en grande partie de cette idée que la mort signifie une séparation complète, probablement permanente. Bien que beaucoup de personnes vous affirmeront, si vous les questionnez, qu'elles croient fermement en une vie future, le fait est que peu d'entre elles en sont certaines au point de la réaliser.
Elles peuvent voir la mort, et une partie d'entre elles croient la comprendre, mais quand à la vie dans l'au-delà, elles en sont plus ou moins incertaines. Si seulement, elles pouvaient savoir, non pas en théorie, mais en fait, qu'elles sont des esprits, enfants du Divin Père des Cieux, et comme tels, ne peuvent pas plus mourir que Lui-même, et si elles pouvaient seulement réaliser que cette vie n'est pas la seule vie sur cette terre, mais que l'humanité vit et revit, dans des corps et dans un entourage constamment améliorés, de même que leur progrès va toujours de l'avant et en s'élevant, qu'elles pourraient accélérer celui-ci, s'épargner de terribles souffrances en travaillant avec la Grande Loi. Si seulement, elles pouvaient comprendre qu'elles-mêmes se créent tous leurs troubles, que leurs malheurs ne sont pas dûs au caprice d'une Divinité, mais qu'ils sont les résultats de leur propre désobéissance à Sa Volonté (comme le montrent Ses lois grandes et justes) provenant de cette vie présente ou d'une vie passée, et que toutes les douleurs ou les joies sont exactement proportionnées à la mesure de leur obéissance ou désobéissance à Sa loi morale, et de la mise en pratique du mode de conduite que le Christ, notre Grand Maître, a indiquée; alors elles s'épargneraient bien des souffrances, se préparant à devenir des aides, dans le grand travail d'élever leurs compagnons humains.
Il se tut, son visage était auréolé de lumière. Jimmie remarqua ce nimbe délicatement coloré qui rayonnait, entourant entièrement le Frère Aîné, Alors, il se souvint d'un vers ancien:
"Combien scintillants, ces esprits glorieux resplendissent..."
- Il est presque temps pour vous de retourner, continua le Frère Aîné, je ne puis, plus longtemps, converser avec vous. Aussi, je veux tenir ma promesse, vous allez revoir Marjorie un court instant, mais avant de nous quitter, je veux vous demander que dès votre rétablissement, vous me fassiez le plaisir de venir me voir à Paris. Voici mon adresse...
- Mais, je pensais...je croyais que vous étiez...que vous étiez...tout à fait en ce monde.
Le Frère Aîné rit:
- Non pas. Je suis encore dans un corps de chair et lorsque vous serez suffisamment rétabli, je vous verrai à Paris, et cela sera pour vous l'une des garanties que tout cela n'est pas un rêve, mais une réalité.
Il se mit en route rapidement, Jimmie le suivit, lui obéissant sur un geste, et bientôt ils se trouvèrent sur le pré légèrement vallonné ou le jeune homme avait repris connaissance.
- Marjorie sera bientôt ici, je vous laisse avec elle. Elle vous expliquera certaines choses, mais vous ne devez pas considérer ce moment comme notre dernière rencontre, ni comme la seule introduction au pays des morts vivants. Votre connaissance des choses spirituelles s'est faite d'une façon toute différente de l'ordinaire, mais ce n'est pas un cadeau, vous l'avez mérité, et votre devoir sera de travailler dix fois plus encore que précédemment.
- Il le fera certainement. N'est-ce pas, Jimmie?
Marjorie qui s'était approchée, inaperçue, se tenait en face d'eux, souriante. Jimmie lui prit la main en souriant à son tour.
- Certainement, Monsieur. J'accepte.
- Ainsi donc, au revoir, et à bientôt.
Jimmie se retourna pour saluer le Frère Aîné, mais à sa grande surprise, ils étaient seuls.
- J'ai entendu dire que vous allez retourner sur terre. J'en suis si heureuse! Cela signifie que vous serez à même de travailler à la fois des deux côtés du voile. Oh! Jimmie, combien j'envie vos possibilités d'activité!
Une partie de la conversation de Jimmie et Marjorie était personnelle; elle ne concerne donc pas notre histoire, et ce serait abuser des privilèges que donne la clairvoyance que de rapporter leurs propos. Enfin, Jimmie dit qu'il aurait bien désiré connaître les travaux à entreprendre, n'ayant reçu aucune instruction à ce sujet.
Marjorie le rassura, et comme sa foi était si absolue en la sagesse du Frère Aîné, et son assurance si positive, les doutes qu'il aurait pu concevoir s'évanouirent.
Ses yeux s'alourdirent, une somnolence irrésistible s'empara de lui; il essaya de s'en excuser, mais Marjorie lui sou rit. Son dernier souvenir fut celui de la jeune fille, debout, entourée d'un léger éclat lumineux, le visage radieux, lui disant:
- Vous retournez sur terre.
Alors, les ténèbres semblèrent recouvrir le Pays des Morts Vivants.