Un "Roman" se prête toujours à de nombreuses combinaisons aussi le jeune Américain Prentiss Tucker n'a-t-il pas hésité à présenter le récit de ses expériences sous cette forme.
Son livre n'est pas un roman initiatique complet comme par exemple le "Roland d'Oxford", le "Roman de la Rose", "Parsifal"; de la science ésotérique il ne donne qu'un léger aperçu en un sens clair, et davantage en un sens caché dont le lecteur devra trouver la clé s'il veut connaître le véritable "Secret de Marjorie".
L'oeuvre de Prentiss Tucker n'est pas récente puisqu'il s'agit d'un récit en rapport avec la Première Guerre Mondiale. L'auteur en son récit très fortement romancé ne dévoile qu'une petite partie des immenses possibilités offertes à tous ceux qui veulent cultiver leurs facultés supra-sensibles, notamment s'ils sont guidés par un "Frère Aîné" - un vrai Rose-Croix - comme ce fut le cas pour lui-même.
Le but de ce livre est d'éveiller chez le lecteur le désir d'en savoir davantage sur "la vie après la mort".
Chapitre I - UNE VISITE SUR LES PLANS
INVISIBLES - pages 9 à 29
Chapitre II - L'EXPÉRIENCE DU SERGENT -
pages 31 à 51
Chapitre III - UNE ENVOLÉE DE L'ÂME -
pages 53 à 70
Chapitre IV - DE RETOUR SUR LA TERRE - UNE
JOLIE INFIRMIÈRE - pages 71 à 91
Chapitre V - LE "FRÈRE AîNÉ"
EN CHAIR ET EN OS - pages 93 à 108
Chapitre VI - LES IDÉES D'UN SOLDAT
AMÉRICAIN SUR LA RELIGION - pages 109 à 130
Chapitre VII - COMMENT LE "FRÈRE
AîNÉ" AIDA UN SOLDAT QUI VENAIT DE MOURIR À CONSOLER SA
MÈRE - pages 131 à 149
Chapitre VIII - ÉTUDE D'AURAS - pages 151
à 161
Chapitre IX - UNE EXPÉRIENCE AVEC LES
ESPRITS DE LA NATURE - page 163 à 175
Chapitre X - CHAGRIN D'AMOUR - pages 177
à 192
Chapitre XI - LA LUMIÈRE REVENUE - pages
193 à 203
Ces pages doivent leur raison d'être à l'explosion d'un obus germanique, de fort calibre.
Rien n'arrive sans cause. Nous pourrions dire que cette histoire commença en Allemagne lorsque Gretchen Hammerstein, guidée par la haine qu'elle vouait aux Américains, mit la dernière main à un obus de gros calibre. Nous pourrions suivre les différents évènements qui, résultant tous de nombreuses circonstances, contribuèrent à faire parvenir cet obus particulier sur le front Allemand, à ce moment précis et juste à cette place. Mais il faudrait beaucoup de patience pour étudier cette suite de faits.
Nous commençons donc le récit des évènements lorsque cet obus éclata dans les tranchées américaines. Il y répandit non seulement la mort mais aussi la haine que Gretchen Hammerstein y avait incorporée.
Jimmie Westman, accoudé au parapet de la tranchée proche des lignes allemandes, regardait par la meurtrière parfaitement camouflée d'où l'on découvrait les destructions effroyables et lugubres du "no man's land"; cette surveillance permettait de se garder de toute attaque par surprise. L'obus explosa à quelques pas de lui, vers l'arrière, mais Jimmie ne s'en rendit pas compte. Il se passa un long moment avant qu'il ne reprit connaissance avec la conscience de ce qui lui était arrivé, et les faits narrés ici sont justement ceux qui survinrent entre la déflagration, et le moment précis où le jeune homme put reconstituer la scène. Ces évènements remarquables produisirent une forte impression sur Jimmie, et changèrent complètement sa façon d'envisager la vie.
Comme précisé, il s'écoula un long moment avant que Jimmie reprenne conscience après l'explosion. Ce coma s'étendit pratiquement sur trois jours, laps de temps qui nous permet de connaître un peu sa vie et son histoire.
Les parents de Jimmie, sans être riches, vivaient dans l'aisance et lui avaient donné une bonne éducation. Lorsque la guerre éclata, il faisait ses études de médecine. Toutefois il passait plus de temps qu'il n'aurait dû à la pratique des sports.
Cependant Jimmie était bien le type du jeune Américain honnête, droit, mais quelque peu insouciant, quoique préparant soigneusement son avenir, anxieux de parvenir tout aussi bien dans ses études que dans les sports et admirateur des athlètes en renom de l'université qu'il fréquentait.
Il s'était cependant engagé dans l'étude de la médecine, partiellement engagé devrions-nous dire, et il était vraiment profondément intéressé par cette profession bien que ses connaissances en la matière n'aient pas encore été très étendues. Il s'était quelque peu pénétré de l'esprit scientifique des professeurs dont il avait suivi les cours, ce qui l'avait rendu légèrement sceptique, et cela attristait un peu sa mère. Celle-ci savait, toutefois, que l'éducation première qu'elle lui avait donnée était profondément ancrée en lui et que le scepticisme scientifique de son entourage ne pouvait qu'effleurer les sentiments de sa prime jeunesse.
Jimmie avait une âme qui scrutait les choses et s'il réfutait aisément les erreurs entendues du haut de la chaire, au temple, il jugeait bien faibles aussi dans leur raisonnement et manquant de force, les objections avancées par les étudiants et docteurs, ses camarades. Il savait se tenir entre ces deux influences, libre, et ne se soumettant ni à l'une, ni à l'autre, bien qu'au fond de son coeur, il soit demeuré très religieux, comme le sont de très nombreuses personnes qui ont cette chance.
La guerre de 1914-1918 éclata avant les examens de sa première année d'études, et lorsqu'il revint chez ses parents, tout le pays était en effervescence. Les gens perspicaces prévoyaient que les Etats-Unis seraient entraînés dans la guerre. Jimmie commença à réfléchir et à approfondir la situation actuelle du monde, et lorsqu'il reprit ses études à l'automne, ce fut avec la ferme conviction qu'un jour ou l'autre, les Etats-Unis prendraient part à la guerre, et qu'il y participerait nécessairement. A ce moment, personne ne prévoyait le nombre insuffisant de docteurs en médecine, et Jimmie, ayant la conviction que cette guerre était une guerre loyale et que son devoir était d'y prendre part, même si son pays hésitait, s'engagea la deuxième année chez les Canadiens. Il rendit à ses parents une courte visite, durant laquelle lui échut la tâche la plus dure qu'il eût jamais entreprise, celle de les convaincre. Il y parvint.
C'est pendant le court séjour qu'il fit à cette occasion auprès des siens qu'il apprit la mort d'une jeune fille, une amie d'enfance. Il avait grandi en sa compagnie et sa disparition effaçait un rêve qu'il avait formé dans son esprit, et à la réalisation duquel il avait inconsciemment travaillé.
Il s'enrôla donc et fut bientôt pris dans le tourbillon intense de la guerre.
Lorsque les Etats-Unis arrivèrent à la rescousse, il était reconnu vétéran et, en dépit de son jeune âge, son expérience était grande; aussi obtint-il son transfert des troupes canadiennes dans celles de son propre pays où il fut accueilli avec enthousiasme. Lors de l'explosion dans la tranchée, il était sous-lieutenant, avec de grandes chances d'avancement.
Jimmie n'avait pas entendu venir l'obus et ne savait pas qu'il avait éclaté, aussi se trouva-t-il plus que surpris de se retrouver dans un endroit du pays qu'il ne connaissait pas. C'était une vaste étendue de prairie légèrement vallonnée, et il s'y promenait tout à son aise, comme s'il avait tout le temps voulu à sa disposition. Tout en se promenant il se posait tout de même quelques questions car il savait qu'à l'heure même, il aurait dû se tenir à son poste dans la tranchée. Les choses lui paraissaient si différentes mais, de toute manière, il ne comprenait plus rien.
Il lui semblait se mouvoir très aisément, beaucoup plus qu'à l'habitude, car la boue des tranchées adhérait terriblement aux bottes et rendait parfois bien difficile le simple fait de poser un pied devant l'autre. A présent, il se déplaçait sans effort, mais ne savait pas d'où il venait et où il allait.
La tranchée n'était pas en vue, ou tout au moins ne l'était plus, mais il marchait si aisément que celui lui importait peu, car il la retrouverait sans aucun doute, bien que sa connaissance du français fut assez limitée.
Dieu merci! Il n'était pas au-delà des lignes ennemies.
Et pourtant! s'il s'était éloigné inconsciemment, pourquoi ne se retrouverait-il pas chez les Allemands?
Son esprit devenait plus lucide petit à petit et il lui semblait sortir d'un long et profond sommeil.
Cependant, s'il s'était endormi, comment se faisait-il qu'aucun de ses hommes ne l'eût réveillé avant cette soudaine avance?
Par le ciel! Où donc était la tranchée? Où se trouvaient les camps, les boyaux de communication, les routes, tout ce réseau compliqué du front? Et ce pré, si agréablement vallonné, où se situait-il?
La ligne de feu avait dû être avancée et lui, certainement abandonné à l'arrière dans son sommeil. C'était l'évidence même, car si elle eût été reculée, les Allemands se seraient bien chargés de l'éveiller au moment où ils auraient occupé la tranchée. Bien sûr, sa compagnie avait pris de l'avance, et lui, somnolent, s'était sans doute inconsciemment dirigé vers cet endroit.
Il ne parvenait pas à se rappeler avoir quitté son poste d'observation devant l'ouverture camouflée; ce n'était pourtant qu'un détail. L'essentiel était à présent de retrouver et de rallier le poste de commandement. Il était certain de le rejoindre facilement, car à l'aide du soleil, il savait parfaitement se diriger.
Involontairement, il leva la tête; le soleil n'était pas visible bien qu'il fit grand jour et qu'il n'y eût pas de brouillard apparent.
Jamais auparavant, en France, il n'avait vu une aussi grande étendue de terre sans trace humaine. Il y avait des villes, des hameaux et des fermes, ou bien l'affreuse désolation que l'ennemi laissait sur son passage, mais cette plaine ne présentait ni l'un ni l'autre de ces aspects. C'était à vrai dire une prairie immense, comme on n'en voit peu en France. Avec un bon nombre de tracteurs, la famine, cet épouvantail, disparaîtrait, car l'étendue en était assez vaste pour que l'on puisse y cultiver de quoi nourrir tout un royaume.
Mais le temps passait et Jimmie devait se hâter et trouver une raison plausible expliquant son absence, car le capitaine, plutôt strict envers ses hommes, n'aurait certes pas admis que le somnambulisme fût une raison suffisante pour motiver l'éloignement du poste et du devoir.
- Pourquoi ne glissez-vous pas?
- Que voulez-vous dire par...glisser?
Il se retourna, afin de voir qui lui parlait en ces termes, car il n'avait pas entendu marcher et se croyait seul. Il vit une jeune fille marchant à ses côtés, ou du moins se déplacer à ses côtés car, apparemment, elle ne marchait pas de la manière usuelle. Il la connaissait très bien, et en la reconnaissant, Jimmie se sentit pâlir, car cette jeune fille était son amie d'enfance. On lui avait pourtant annoncé son décès, lors de sa visite chez ses parents, avant de s'enrôler. Probablement avait-il été mal informé. Il la regarda, s'écarta un peu, embarrassé, ne sachant que dire ni que faire. Il se pourrait qu'elle ne fût pas morte; sans doute avait-elle été envoyée dans un asile d'aliénés et était venue en France par erreur; toutefois, il ne comprenait pas son langage bizarre lorsqu'elle lui disait de glisser.
De nouveau, il la contempla. Et vraiment, elle était en train de glisser! Etait-il devenu fou?
Un joyeux éclat de rire interrompit sa stupéfaction. C'était un rire gai, chaleureux, le rire d'autrefois de la jeune fille qu'il avait si bien connue.
Et elle riait aux éclats! Il en était tout désorienté. Qui donc dans un pareil cas ne le serait pas?
A certains moments, les pensées vous traversent l'esprit avec une rapidité extrême, et les pensées évoquées ici semblent mettre du temps pour se manifester, alors qu'en réalité elles étaient presque instantanées, et pourtant leur séquence était logique et elles paraissaient raisonnables et pondérées à Jimmie.
Elle riait aux éclats! Les revenants ne rient pas, cela ne s'est jamais vu. Tout le monde sait que les esprits ne rient pas. Et elle lui parlait de glisser. Cela prouvait qu'elle était folle à enfermer dans un asile, et de nouveau il regarda ses pieds; effectivement, elle glissait! Tout au moins elle ne marchait pas, en posant un pied devant l'autre. Non, elle glissait, et riait de tout son coeur.
Généralement les revenants sont tristes, sombres, recherchent l'obscurité, les cimetières à minuit, le mystère et les gens craintifs. Or, en voici un, si réellement elle était un fantôme, qui contemplait Jimmie de son beau visage heureux, joyeux et franc, simplement amusé de son étonnement!
C'était bien la même jeune fille qu'il avait courtisée. N'avait-il pas eu l'idée d'en faire sa femme, dès son entrée dans la vie professionnelle? Sans doute tout ceci n'était qu'un rêve. Jimmie était venu en France pour combattre le Kaiser, libérer le monde au nom de la démocratie.
Et cette jeune personne qui riait de lui. Comment une telle erreur s'était-elle produite? On lui avait affirmé catégoriquement sa disparition. Il se voyait contraint pourtant de reconnaître cette erreur et de croire à l'évidence de ce qu'il voyait.
Cette chère présence! Il la voit si jolie maintenant. Elle l'était déjà précédemment, belle même, mais là vraiment, elle est radieuse. Voilà qu'à présent, elle marchait d'un petit pas dansant difficile à décrire, tant il était "aérien"!
Elle allait, légère, se tournant à demi vers lui, de temps à autre, et riant si naturellement qu'il se mit à rire aussi. L'aventure, pourtant, paraissait chose très sérieuse, mais avec une telle joie autour de lui, et une si jolie fille riant de ses gaucheries, il ne pouvait réellement pas imaginer que l'ennemi fût si proche et qu'il fût au milieu de circonstances si tragiques.
Instantanément, elle devint sérieuse comme si elle avait deviné sa pensée.
- Excusez-moi, Jimmie, mais je ne pouvais m'empêcher de m'amuser. Vous paraissiez si troublé.
- Evidemment, je suis désorienté. Comment êtes-vous venue ici en France? Et pourquoi m'ont-ils dit que vous étiez...partie? Il prononça ce dernier mot faiblement.
Elle répondit à son embarras par un sourire léger.
- N'ayez pas peur de dire le mot, Jimmie.
Mais il lui en coûtait de le prononcer et il poursuivit:
- Comment êtes-vous ici?
- J'ai été envoyée vers vous.
- Ecoutez-moi, Marjorie, ne vous moquez point. Comment êtes-vous ici en France?
- Réellement, Jimmie, je ne vous trompe pas. J'ai été envoyée vers vous, mais parce que j'en ai fait la demande. Les autres sont si occupés, et il n'y a pas beaucoup de choses que je puisse faire, mais je savais que je pourrais vous aider, que vous seriez heureux de me voir, en sorte que j'ai obtenu ma permission du Frère Aîné; il est toujours si aimable pour moi.
En entendant ces propos, la théorie de l'asile d'aliénés lui revint à la mémoire, avec cet argument que le "Frère Aîné" devait être l'un des docteurs. Cependant, elle ne paraissait pas du tout avoir le langage d'une folle. Elle était radieusement belle maintenant, beaucoup plus belle encore qu'autrefois; d'autre part, ses paroles étaient raisonnables. Mais qui pouvait bien être ce "Frère Aîné"? Elle était fille unique. A n'en point douter, c'était le docteur.
Un jour, accompagné d'amis, il avait visité un asile d'aliénés et avait remarqué qu'aucune des femmes n'était belle. Même si l'une d'entre elles eût été jolie, l'expression des yeux amoindrissait la beauté physique. Mais cette jeune fille, dansant, glissant, si légère, à ses côtés, avec ses yeux bleus et sa chevelure blonde, était extrêmement troublante, éblouissante, sans la moindre trace de ce regard fixe ou sans expression qu'ont les folles, et dont la vue est si pénible.
De plus, elle pouvait glisser! Ah! il avait oublié cela. Elle glissait! Comment diantre peut-on glisser sans avoir de patins?
- C'est facile de glisser, et vous le pouvez aussi.
- Moi! Comment pouvez-vous savoir ce que je pense?
- Mais par votre aura.
- Vous dites?
- Je dis: votre aura. Ne savez-vous pas que vous avez une aura?
- Je n'en ai jamais entendu parler précédemment. J'ai obtenu une médaille de tir, mais je n'ai jamais reçu de qui que ce soit ce que vous appelez une aura, et je sais que je n'en ai point avec moi.
Elle dansait devant lui, glissant tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, le charmant de son regard, plaisantant sans cesse, avec une gaieté si folle qu'elle en resta muette quelques instants. Jimmie ne comprenait rien à cette joie, mais Marjorie semblait tellement heureuse et si attrayante qu'il lui prit la main. Ils se mirent à danser, riant tous deux d'une joie dont le motif lui échappait.
Mais il en oubliait tout!
Avec ces circonstances troublantes, il devrait être à bout de forces. Depuis l'intense et récent bombardement commencé il y a plusieurs jours, la fatigue ne l'avait pas quitté; or, voilà que malgré cela, il se mettait à danser avec cette jolie fille, comme s'il était lui-même frais et dispos. Mais il se sentit fatigué brusquement, terriblement fatigué; cela prouvait combien puissante peut être la pensée sur la matière, à tel point qu'en un instant il avait totalement oublié sa fatigue, tout à la joie de retrouver cette ancienne amitié. Mais maintenant, il se sentait las et marchait péniblement.
Elle retira sa main et, le grondant lui dit:
- Mais vous n'êtes pas fatigué! Seulement, vous pensez que vous l'êtes. Alors, maintenant, pensez que vous n'êtes pas fatigué!
- Je ne puis pas, Marjorie! réellement, je suis terriblement fatigué. Je n'ai pas dormi durant deux nuits, pendant lesquelles je n'ai fait que patauger dans la boue. Vous voyez, Marjorie, il est bien difficile de vivre ainsi pendant trois jours et de ne pas sentir de lassitude.
- Mais, Jimmie vous savez pourtant qu'au début, lorsque dans votre promenade vous vous êtes étonné de la manière dont j'étais arrivée ici, vous n'étiez pas fatigué car vous n'y pensiez pas; mais maintenant, parce que vous pensez que vous devriez être fatigué, et bien vous êtes fatigué. Allons, asseyons-nous un peu.
- Prenez garde, il fait humide ici. Vous pourriez attraper un froid mortel!
Elle se mit à rire.
- Non, je ne mourrai pas de froid, il fait très sec ici! D'ailleurs, voyez comme la terre est desséchée; et puis, je ne peux mourir de froid, et pour cause! C'est ce que je venais vous annoncer, maintenant je ne sait plus comment vous dire cela, Jimmie.
Il regarda par terre; comme elle l'avait affirmé, le sol était parfaitement sec.
- Eh bien, asseyons-nous, mais rappelez-vous que je dois repartir au plus tôt et ne puis m'arrêter qu'un instant. Mais qu'avez-vous à m'annoncer? Et pourquoi ne pouvez-vous me le dire? Vous êtes toujours franche dans votre conversation, Marjorie, que voulez-vous me dire?
- Oh! Jimmie, c'est très difficile. Vous ne me croirez pas.
- Si, Marjorie, je croirai tout ce que vous me direz. Mais depuis ce matin, il m'arrive des choses étranges que je ne puis comprendre. Comment êtes-vous ici?
- Je vous l'ai déjà dit. Je suis envoyée sur ma demande avec le désir de vous venir en aide. A présent, je ne sais comment vous dire...
- Qui vous a envoyée, Marjorie?
- Le Frère Aîné. Oh! Il est si bon pour moi!
- Qui est le Frère Aîné, est-ce...un docteur?
Marjorie sourit, un peu tristement, mais avec douceur.
- Souvenez-vous de votre impression, lorsque je vous adressais la parole et que vous vous retourniez pour voir qui vous suivait?
- Oui, je me souviens, Mais...mais...vous semblez ignorer l'événement qui a surgi et dont on m'a averti.
- Oh! si, je le connais. J'était là lorsqu'on vous a dit que j'était...j'étais...morte.
- Effectivement. C'est exactement ce que l'on m'apprit et j'en eus la conviction, tout le monde me l'affirmait, d'autant plus que je vins sur la tombe.
- Oui, cher Jimmie, je sais tout. J'étais présente, j'entendis tout. Je vous ai vu sortir dans la nuit, parcourir notre vieux chemin de campagne, et je vous ai vu pleurer, gémir, vous croyant seul. Oui, je sais tout cela, car j'étais présente.
- Vous étiez là!
- Oui, Jimmie, mon cher, cher ami. J'étais là, je vis votre douleur, je vous entourai de mes bras, essayant de vous consoler. J'étais là. C'était vrai, ce qu'on vous avait dit, c'était bien vrai.
- Vous étiez...vous êtes...?
- Oui, cher ami. J'étais, je suis morte. Là! je puis bien le dire, maintenant. Elle souriait à travers ses larmes car elle s'était mise à pleurer.
- Oui, je dois employer ce mot détestable bien qu'il soit inexact, Jimmie, inexact. Nous ne mourrons jamais. Ni vous ni moi ne sommes morts. Nous sommes tous les deux beaucoup plus vivants que nous ne l'étions précédemment car nous avons avancé d'un pas vers la grande Source de vie et d'amour. Je sais que c'est la vérité, car c'est le Frère Aîné qui me l'a dit. Il est si noble, si bon et il sait toutes choses. Il vous connaît, Jimmie, vous et tout ce qui vous concerne, car il vous aime vous aussi. Je savais que je pouvais vous aider, et j'ai la permission de vous dire beaucoup plus de choses qu'il n'en est révélé à la plupart des soldats, car vous êtes plus apte à comprendre. Je sais que vous croirez ce que je vous dis, parce que le Frère Aîné me l'a affirmé. Oh! cher Jimmie, il est inutile de vous chagriner à ce sujet, car à présent vous serez à même d'accomplir de bien plus grands travaux dès que vous serez instruit sur la guerre et sur d'autres choses, ainsi que sur le Maître.
A ce moment, la voix de la jeune fille devint plus respectueuse, son expression changea, embellissant encore son charmant visage.
- Oui, on vous renseignera sur le Maître, sur ce que l'on peut faire pour Lui, et peut-être, si vous travaillez ferme pour Lui, Jimmie, il se peut qu'un jour vous puissiez Le voir. Je L'ai vu, ajouta-t-elle avec fierté, je L'ai vu, de loin, et je crois qu'Il m'a regardée, et je me sentis tellement heureuse que, pendant tout un temps, je n'ai cessé de rire et de chanter de joie. Mais c'était avant que l'on me permette de faire un travail quelconque en rapport avec la guerre. On me déclara tout d'abord que les conditions étaient trop terribles pour moi et qu'il me fallait, avant de venir en aide aux autres, attendre d'être plus forte moi-même. Mais depuis lors, on me permet d'aider spécialement les enfants. J'aime tant recevoir ces petits êtres lorsqu'ils arrivent ici terrifiés, épouvantés. Je les calme, les endors, les soigne jusqu'à ce qu'ils comprennent qu'ils sont entourés d'amour de ce côté-ci et non pas cette terrible haine qui a envahi cette pauvre Belgique. J'ai tellement pitié de ces pauvres chers petits! Depuis lors, je les aide ainsi.
Jusqu'au moment où la jeune fille prononça devant lui le mot "aura" Jimmie n'avait pas connaissance de la signification de ce mot, mais maintenant, il voyait Marjorie entourée d'un nuage rayonnant d'une lumière radieuse dont elle semblait inconsciente, mais dont elle était le centre, et qui la rendait encore plus belle. Jimmie recula légèrement, se sentant indigne d'être si proche de l'un des Saints de Dieu.
- Depuis le début de ce travail, j'ai très peu dansé, continua Marjorie, pas autant qu'aujourd'hui, car je suis si heureuse de vous voir et d'avoir reçu la permission de vous aider! C'est la première fois que l'on me permet d'aller à la rencontre d'un soldat arrivé de ce côté-ci, car parfois, la chose est dangereuse. Cela nécessite une grande force, de la sagesse, que je n'ai pas, mais je possède une chose qui compte beaucoup plus, beaucoup plus. Elle se détourna, murmura quelques mots pour elle-même et Jimmie crut cependant comprendre:
-J'ai l'Amour.
-Oh, Marjorie! voulez-vous dire que je suis...ce que nous venons de dire?
- En effet, Jimmie, vous l'êtes, mais que cela ne vous contrarie pas, c'est réellement un avantage. Il y a plus d'une raison prouvant combien c'est une grande chose que d'être ici. Je vais vous en expliquer quelques-unes. Mais c'est heureux pour vous, car voici le Frère Aîné qui vient à votre rencontre.
- Je ne désire connaître aucun des Frères Aînés, Marjorie. Je désire continuer à converser avec vous.
Il se rapprocha d'elle, et lui toucha la main.
- Si je suis mort, alors vous l'êtes aussi, ainsi nous n'avons tous deux aucun avantage. Ce dont je suis certain, c'est que vous ne me semblez nullement morte, et je ne me sens pas mort du tout. En tout cas, je n'y comprends rien.