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CHAPITRE 11 - LA CENE ET LE LAVEMENT DES PIEDS

Il est dit dans les Evangiles, qui décrivent l'initiation du mystique chrétien, qu'après avoir pris part, avec ses disciples, à la Cène, qui marque la fin de son ministère, Jésus-Christ se leva de table, se ceignit d'un linge, versa de l'eau dans un bassin et se mit à laver les pieds de ses disciples, service des plus humbles mais dicté par une considération occulte importante.

Peu de gens se rendent compte qu'en nous élevant sur l'échelle de l'évolution, nous piétinons le corps de nos frères plus faibles. Consciemment ou non, nous les comprimons en nous servant d'eux comme d'échelons pour parvenir à nos propres fins. Cette règle s'applique à tous les règnes de la nature. Lorsqu'une vague de vie est descendue au point le plus bas de l'involution, qu'elle s'est incrustée dans la forme minérale, elle est immédiatement saisie par une autre vague légèrement plus élevée qui s'empare du minéral cristallisé en cours de désagrégation, l'adapte à ses propres fins comme cristalloïdes et l'assimile en tant que forme

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végétale. Les plantes, à leur tour, servent de nourriture aux règnes supérieurs; s'il n'y avait pas de plantes, la vie animale serait impossible. Le même principe s'applique à l'évolution spirituelle; s'il n'y avait point d'élèves sur les chemins inférieurs de la connaissance, il n'y aurait nul besoin d'instructeurs. Mais il y a ici une différence essentielle:l'instructeur progresse en se donnant à ses élèves, en les servant; il s'élève en les élevant . Néanmoins, il contracte envers eux une dette de gratitude, reconnue symboliquement et acquittée par le lavement des pieds, humble service rendu à ceux qui lui ont servi à s'élever.

En nous rendant compte que la nature, qui est une manifestation de Dieu, s'emploie continuellement à créer, à produire, nous comprenons que si nous tuons une créature, si petite, si insignifiante soit-elle, nous agissons à l'encontre du plan de Dieu. Ceci concerne particulièrement l'aspirant à la vie supérieure. C'est pourquoi le Christ exhortait ses disciples à être, en même temps, aussi sages que des serpents et aussi inoffensifs que des colombes (Matthieu 10:16). En dépit de la sincérité de notre désir de ne pas nuire, nos dispositions naturelles et la nécessité nous forcent à tuer à chaque instant de notre vie, et ce n'est pas dans les grandes choses seulement que nous causons la mort.

Il était comparativement facile à Parsifal, symbolisant l'âme qui cherche, de briser l'arc avec lequel il venait de tuer le cygne des Chevaliers du Saint- Graal, lorsqu'on lui eut expliqué le mal commis par lui. Dès ce moment, Parsifal s'engagea dans une vie inoffensive, en ce qui concerne la vie consciente. Tout aspirant sincère suit la même voie avec empressement, une fois qu'il s'est rendu compte combien une nourriture qui nécessite la mort d'animaux, nos jeunes frères en évolution, est contraire au développement de l'âme.

Mais même les plus nobles, les plus compatissants parmi nous, empoisonnent de leur souffle ceux qui les entourent, comme ils sont eux-mêmes empoisonnés par le leur, car tous nous exhalons l'acide carbonique mortel et sommes ainsi un danger l'un pour l'autre.

Cette assertion n'est pas exagérée; il y a là un véritable danger qui deviendra de plus en plus manifeste à

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mesure que l'humanité deviendra plus sensible. Dans un sous-marin désemparé ou dans des conditions où un certain nombre de personnes sont hermétiquement enfermées, l'acide carbonique qu'elles exhalent corrompt bien vite l'atmosphère et la rend irrespirable. On raconte que pendant la révolte de l'Inde, un grand nombre de prisonniers anglais ont été enfermés dans un local trop exigu pour leur nombre et où il n'y avait qu'une toute petite ouverture pour laisser entrer l'air. Au bout de peu de temps, l'oxygène fut épuisé et les pauvres prisonniers commencèrent à se battre comme des bêtes féroces pour gagner une place près de l'ouverture; ils ont presque tous péri au cours de la lutte ou par asphyxie.

Le même principe est démontré dans l'ancien Temple atlantéen des Mystères; nous y trouvons une odeur nauséabonde et une fumée suffocante montant de l'Autel des Holocaustes, où étaient consumés les corps chargés de poison des victimes innocentes , sacrifiées pour l'expiation des péchés, et où la lumière ne brillait que faiblement dans la fumée qui l'enveloppait. Nous pouvons opposer à celle-ci la lumière claire et brillante du Chandelier à sept branches, alimenté par de l'huile d'olive extraite de la chaste plante, et aussi l'encens de l'Autel des parfums, symbolisant le service volontaire de prêtres dévoués, s'élevant au ciel en une douce odeur qui, nous dit-on, plaisait à Dieu, tandis que le sang des victimes expiatoires, taureaux et boucs, lui était en aversion, car il préfère la prière qui aide l'adorateur et ne nuit à personne.

On rapporte que certains saints émettaient une douce odeur. Ceci n'est pas une fiction, mais un fait occulte. La grande majorité des humains, à chaque instant de leur vie, inhalent l'oxygène vivifiant contenu dans l'atmosphère environnante; à chaque expiration, ils exhalent une certaine quantité d'acide carbonique, poison mortel qui avec le temps, vicierait l'air si la pure et chaste plante, en l'absorbant, n'en employait une partie à se construire un corps et ne nous rendait le reste sous forme du pur oxygène dont nous avons besoin pour vivre. Le corps des plantes dure quelquefois des centaines, des milliers d'années, tels les séquoias de la Californie. Certains végétaux carbonifères, par divers procédés de la nature, se sont minéralisés au lieu de se

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désintégrer. Nous les trouvons aujourd'hui sous forme de houille, pierre philosophale périssable faite par des moyens naturels dans le laboratoire de la nature . Mais l'homme, lui aussi, peut transformer son corps en pierre philosophale. Il faut bien comprendre, une fois pour toutes, que cette pierre n'est pas faite dans un laboratoire de chimie, mais que le corps humain est l'atelier de l'esprit et qu'il contient tous les éléments nécessaires pour produire l'élixir de vie; qu'elle n'est pas extérieure au corps, mais que c'est l'alchimiste lui-même qui devient la pierre philosophale. Le sel, le soufre et le mercure symboliquement contenus dans les trois sections de la moelle épinière qui commandent les nerfs sympathiques, moteurs et sensoriels, et sur lesquels joue le Feu spirituel neptunien de l'épine dorsale, constituent les éléments du procédé alchimique.

Il est évident que la satisfaction accordée à la sensualité, à la cruauté, à la bestialité rendent le corps grossier, tandis que la consécration au divin, une attitude de perpétuelle prière, un sentiment d'altruisme et de compassion pour tout ce qui vit et se meut, des pensées d'amour envoyées à toutes les créatures et celles qui sont forcément reçues en retour, ont l'effet invariable d'affiner et de spiritualiser la nature d'une personne. En disant d'elle qu'elle respire et rayonne l'amour, on énonce un fait plus réel qu'on ne l'imagine ordinairement, car l'observation montre que la quantité de poison contenue dans l'haleine d'un individu est en proportion exacte avec le mal de sa nature, de ses pensées et de sa vie intérieure. Le Yogi hindou enferme le candidat parvenu à un certain degré d'initiation dans un caveau qui n'est pas beaucoup plus grand que son corps. Il doit y vivre pendant un certain nombre de semaines, respirant sans cesse le même air, pour démontrer qu'il a cessé d'exhaler l'acide carbonique mortelle et commence à en construire son corps.

La pierre philosophale n'est donc pas un corps de même nature que la plante, bien qu'elle soit pure et chaste; c'est un corps céleste tel que celui dont parle Paul au cinquième chapitre de sa deuxième épître aux Corinthiens, corps qui devient immortel comme le diamant ou le rubis. Ce corps n'a cependant pas la dureté

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et la rigidité du minéral; c'est un diamant ou un rubis "tendre", et le mystique chrétien le construit par chaque acte de la nature décrite plus haut, bien qu'il en soit longtemps inconscient. Lorsqu'il a atteint ce degré de sainteté, il n'est pas nécessaire qu'il pratique le lavement des pieds envers l'élève qui l'aide à s'élever, mais il n'en aura pas moins le sentiment de gratitude symbolisé par cet acte pour ceux qu'il aura le bonheur d'attirer à lui comme disciples et auxquels il pourra donner le pain de vie qui conduit à la vie éternelle.

Nos étudiants se rendront compte que ceci est une partie du processus qui, par la suite, aura son point culminant dans la Transfiguration, mais que dans l'initiation mystique chrétienne, il n'y a ni rangs, ni degrés définis, et que l'aspirant considère le Christ comme l'auteur et le but de sa foi; il cherche à l'imiter, à suivre ses pas, en tout et toujours.

Ainsi, les différents degrés que nous considérons sont atteints par une croissance de l'âme qui amène l'aspirant aux aspects de plus en plus élevés que nous analysons. A cet égard, l'initiation du mystique chrétien diffère radicalement du procédé rosicrucien, dans lequel la compréhension de ce qui doit avoir lieu est jugée indispensable de la part du Candidat. Cependant, il vient un moment où le mystique doit voir, et voit réellement, le Sentier qui est devant lui; c'est ce qu'on appelle Gethsémané, et nous l'étudierons dans le chapitre suivant.

 

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