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CHAPITRE 9 - LA TENTATION

On entend souvent de fervents chrétiens se plaindre de périodes de dépression par lesquelles ils passent. Parfois ils sont au septième ciel d'exaltation spirituelle; il ne voient que la face du Christ qui, leur semble-t-il, dirige chacun de leurs pas; puis, sans aucun avertissement, sans aucune cause apparente, les nuages s'amoncellent, le Sauveur cache sa face et le monde s'assombrit. Ils ne peuvent ni travailler, ni prier; le monde a perdu son attrait et la porte du ciel s'est refermée devant eux. La vie leur paraît sans valeur, et la raison en est que ces gens vivent par leurs émotions. Sous la loi immuable de l'alternance, le pendule est tenu de s'écarter à une égale distance de chaque côté du point mort; la profondeur de l'ombre sera en rapport avec l'éclat de la lumière; plus l'exaltation sera grande, plus l'abattement qui la suit sera extrême. Seuls ceux qui, par la froide raison, restent maîtres de leurs émotions, échappent aux périodes de dépression. Cependant, c'est cette effusion émotive qui fournit au mystique chrétien le dynamisme qui lui permet de s'élever jusqu'aux mondes invisibles où il s'identifie à l'idéal spirituel qui l'a appelé et a éveillé en son âme le pouvoir d'y atteindre , tout comme le soleil a construit l'oeil par lequel nous le voyons. L'oiselet, avant de pouvoir

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se servir de ses ailes avec assurance, fait bien des chutes; ainsi, sur le Sentier, le mystique chrétien peut s'élever jusqu'au trône même de Dieu pour retomber maintes et maintes fois dans l'abîme du désespoir le plus profond. Cependant, un jour, il triomphera du monde, il vaincra la loi d'alternance et parviendra, par le pouvoir de l'esprit, à s'élever jusqu'au Père Céleste, libéré des pièges de l'émotion, rempli de la paix qui surpasse toute intelligence.

Mais cette fin n'est atteinte qu'après le Golgotha et le Baptême mystique commenté dans le chapitre précédent,. Cet état d'âme est le commencement de la carrière active du mystique chrétien, au cours de laquelle il deviendra si complètement pénétré du fait prodigieux de l'unité de toute vie , tellement imbu d'un sentiment fraternel pour toutes les créatures que, dorénavant, il pourra non seulement énoncer, mais pratiquer les enseignements du Sermon sur la montagne.

Les expériences spirituelles du mystique chrétien ne le mèneraient-elles pas plus loin, que ce serait déjà l'aventure la plus merveilleuse du monde; la grandeur de l'événement est indicible, et les conséquences à peine imaginables. La plupart des étudiants de la haute philosophie croient à la fraternité des hommes d'après la conviction mentale que nous sommes tous issus de la même source, comme les rayons émanent du soleil, mais il y a un abîme insondable entre la froide conception intellectuelle et la plénitude baptismale que le mystique chrétien sent en son coeur, dans toutes les fibres de son être, avec une telle intensité qu'elle en devient une vraie souffrance; elle le remplit de la compassion, de l'amour poignant exprimé par le Christ dans ces mots: "Jérusalem! Jérusalem! que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes!" (Matthieu 23:37). Amour tendre, ardent, protecteur qui, s'oubliant lui-même, ne demande que le privilège de donner, de protéger et de chérir.

En nos jours sombres, s'il n'y avait, parmi l'humanité, qu'un faible écho d'un tel sentiment de fraternité universelle, quel séjour de délices la terre ne serait-elle pas! Au lieu d'un enfer où l'homme s'élève contre son frère, soit pour le tuer par l'épée, la rivalité ou la concurrence, soit pour le perdre moralement, le

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dégrader par la flétrissure de la prison ou l'esclavage industriel sous le fouet de la nécessité, nous aurions un monde heureux, sans guerriers, sans prisonniers, où nous vivrions dans la paix, l'harmonie, apprenant les leçons que notre Père Céleste cherche à nous enseigner dans les conditions matérielles présentes. Et toute la misère du monde réside dans le fait que si nous croyons quelque peu à la Bible, nous y croyons avec la tête et non avec le coeur.

Lorsque nous nous sommes élevés, par les eaux du Baptême, ou déluge atlantéen, dans l'Age de l'arc-en-ciel, celui de l'alternance des saisons, nous sommes devenus la proie d'émotions changeantes qui nous ballottent ça et là sur l'océan de la vie. La foi froide, contrainte par la raison, professée par la majorité de ceux qui se prétendent chrétiens, peut leur donner le don de la patience et de l'équilibre mental qui les soutient dans les épreuves de la vie; mais lorsque le plus grand nombre arrivera à la foi vivante du mystique chrétien qui se rit de la raison parce qu'elle est ressentie par le coeur , l'Age de l'alternance aura vécu, l'arc-en-ciel tombera avec les nuages et l'air qui compose maintenant l'atmosphère; "il y aura de nouveaux cieux" (Esaïe 65:17; 66:22; Apocalypse 21:1, 5) de pur éther où nous recevrons le Baptême de l'Esprit et "là sera la paix", ce qui est le sens du mot "Jérusalem".

Nous sommes encore à l'Age de l'arc-en-ciel et sujets à ses lois, aussi pouvons-nous imaginer la réaction qui suit nécessairement l'exaltation spirituelle du Baptême du mystique chrétien. La grandeur formidable de la révélation l'accable; il ne peut s'en faire une juste idée, la contenir dans son corps de chair; il fuit les lieux fréquentés par les hommes et se retire dans la solitude, appelée allégoriquement "désert". Il est tellement ravi en sa sublime découverte qu'il voit alors dans son extase la trame de la Vie sur laquelle sont tissés les corps de toutes les créatures, de la plus petite à la plus grande: la souris et l'homme, le chasseur et sa proie, le guerrier et sa victime. Mais à ses yeux, ces créatures ne sont nullement séparées, distinctes, car il aperçoit aussi le lien divin de la lumière vitale d'or "qui va de l'un à l'autre et les unit tous". Plus encore, il entend en chacun la tonique brillante donnant la note de ses aspirations et faisant entendre ses espérances et ses

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craintes; ce son-couleur composé est pour lui l'hymne du monde de Dieu fait chair.

Ceci, tout d'abord, surpasse sa compréhension; la sublimité de sa découverte la lui cache; il ne peut concevoir ce qu'il voit et sent, car il n'est pas de mots pour le décrire, pas de concept qui en donne une idée. Cependant, peu à peu, il lui vient à l'esprit qu'il est à la source même de la Vie , apercevant ou, mieux encore, sentant chacune de ses pulsations. Cette découverte le conduit au comble de son extase. Le mystique chrétien a été tellement transporté dans sa merveilleuse aventure que les besoins du corps ont été entièrement oubliés jusqu'à la fin de l'extase, et il est naturel que la faim soit le premier désir qui se fasse sentir lorsqu'il revient à son état de conscience normal, et qu'il entende la voix de la tentation:

"Ordonne que ces pierres deviennent des pains"(Matthieu 4:3; Luc 4:3).

Peu de passages des Ecritures saintes sont plus obscurs que les premiers versets de l'Evangile de Jean: "Au commencement était le Verbe(...) et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui". Une étude, même superficielle, de la science du son nous apprend cependant que le son est une vibration, que des sons différents ordonnent le sable ou autres matériaux légers en dessins de formes variées. Le mystique chrétien peut être tout à fait ignorant de ce fait scientifique, mais il a appris, à la source de la Vie, à chanter l'Hymne de l'Etre , qui peut amener à l'existence tout ce que désire un tel maître- musicien. Il y a, pour le minéral non digestible, un principe fondamental, mais une modification peut le transmuer en or, au moyen duquel s'achètent les nécessités de la vie; et une autre tonique, particulière au règne végétal, peut le changer en nourriture. Ceci n'est pas un mystère pour l'occultiste avancé se servant d'incantations, légitimement, dans un but spirituel, mais jamais pour un profit matériel.

Le mystique chrétien, émergeant de son Baptême dans la source de Vie, est saisi d'horreur à l'idée d'employer son pouvoir nouvellement acquis pour une satisfaction égoïste. C'est le sacrifice de ses intérêts propres qui l'a conduit aux eaux de la consécration de la source de Vie, et il sacrifierait tout, son existence

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même, plutôt que de se servir de ce pouvoir, qui vient de se révéler à lui, pour s'épargner une souffrance. Ne ressent-il pas la souffrance infinie du monde en son coeur avec une telle intensité que sa faim disparaît aussitôt et tombe dans un oubli complet? Il peut employer, il emploie et il emploiera ce merveilleux pouvoir pour nourrir la multitude assemblée autour de lui pour l'écouter, mais jamais dans un but personnel, sinon l'équilibre du monde en serait bouleversé.

Ce n'est cependant pas la raison qui conduit le mystique chrétien à cette conclusion. Comme nous l'avons dit, il ne raisonne pas, mais il possède un guide bien plus sûr dans la voix intérieure qui lui parle dans les moments où une décision doit être prise. "L'homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu" (Matthieu 4:4). Autre mystère: celui qui a accès à la source de Vie n'a nul besoin de se nourrir de pain terrestre. Plus nos pensées sont centrées sur Dieu, moins nous nous soucions des plaisirs de la table et, grâce à une nourriture simple, frugale, nous obtenons une illumination interdite au gourmand dont les excès alimentent la nature inférieure. Quelques saints ont eu recours au jeûne et aux austérités comme moyen d'avancement spirituel, mais c'est là une méthode erronée, ainsi que nous l'avons exposé dans un article intitulé "Jeûne et croissance de l'âme" (voir "Santé et Guérison"). Les Frères Aînés de l'humanité qui comprennent la Loi et vivent en conséquence, ne se servent de nourriture qu'à des intervalles d'années entières. La parole de Dieu est pour eux un "pain de Vie" (Jean 6:35,48). Elle contient aussi un mystère chrétien et la Tentation, au lieu d'amener la chute, élève à de plus grandes hauteurs.

 

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